Chapitre 8 - Désir primitif

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La forêt. La chaleur du corps d'Eliabel. Les grands arbres. Ses mouvements sur le cheval. Le calme. Son odeur ensorcelante. Le chant des oiseaux. Son parfum enivrant. Le bruit de l'eau. Sa peau douce. La couleur printanière de l'herbe. Le goût de ses lèvres.

Arrêt. Reiner se tourna dans le lit, notamment pour que ses pensées prennent un virage radical. Peine perdue. Tout ramenait à Eliabel. La balade sur l'étalon, la halte à la rivière, l'eau fraîche sur les mains et le visage et la prochaine activité : la pêche.

Pour se concentrer, réaliser des gestes précis, attendre dans le silence, laisser les rayons du soleil picoter la peau, profiter de la sérénité de la nature. Eliabel. Reiner l'imaginait avec son chapeau de paille, ses cheveux détachés, une robe blanche qui caressait ses pieds nus...

Dans un nombre incalculable de fois, Reiner se retourna. Il transpirait, son cœur cognait contre son torse, nu et ruisselant de sueur. Il s'observa à travers le psyché à côté de son lit, et détailla ses muscles. Ses abdominaux, ses biceps, ses pectoraux, ses quadriceps : pour la première fois depuis des années, il appréciait l'image reflétée par le miroir.

Reiner était un bel homme qui s'ignorait. Il posa ses pieds nus contre le sol froid, et chancela vers la salle de bain. Il ouvrit le robinet, passa ses mains sous l'eau froide et badigeonnea enfin son visage de cette lotion agréable et apaisante. Il s'essuya avec une serviette propre qui sentait l'air frais printanier et releva timidement son regard.

- Bats-toi. Bats-toi, murmura-t-il si doucement que Reiner ne réveilla même pas son chat. Oui : il devait se battre pour la relation qu'il entretenait avec Eliabel. Lui dévoiler ses émotions, exprimer ses ressentis, expliquer ses saveurs, décrire ses sensations et avouer ses sentiments. Or, il rencontrait un problème majeur : jamais il n'avait confié son cœur. Reiner redoutait la réaction d'Eliabel. Et si elle ne partageait rien de cette excitation ? Celle qui retournait le ventre, faisait envoler le rythme cardiaque et perdre la notion du temps ?

- Reiner ? Tu es réveillé ? La voix délicate d'Eliabel se faufila jusqu'aux tympans de Reiner. Il sursauta, et regarda le réveil dans un réflexe inexpliqué : 05:50. "Je viendrai te récupérer au lever du soleil.". Les souvenirs connaissaient une reviviscence dans son esprit. Il avait acquiescé, tout en regrettant de la laisser partir.

- J'arrive ! Reiner évita les bords douloureux du lavabo, essaya de ne pas glisser sur le tapis de bain et surtout de ne pas se précipiter vers la porte d'entrée. Pour quelles raisons ne voyait-il soudainement plus rien ? Ne percevait-il plus aucun son ? Au moment où il appuya sur la poignée, il remarqua que son torse était dénué de tout tissu. Eliabel contempla Reiner, comme s'il était le dernier homme sur cette terre. Elle le reluqua du premier de ses cheveux au dernier duvet de ses orteils. Son regard était différent, car il exprimait l'amour. Le désir. L'envie. Elle retenait ses pulsions par respect envers lui. Néanmoins, il ne baissa pas les yeux... Bien au contraire, et à sa plus grande surprise. Ils restèrent un moment à se dévisager... Reiner brisa cet instant hors du temps en effleurant du bout de ses doigts la main d'Eliabel, en la baisant du bout de ses lèvres. Bonjour Eliabel.

- Bonjour Reiner. Eliabel crut défaillir. Déstabilisée, elle se retint de vaciller... Jusqu'à ce que Reiner l'attire dans la pièce à vivre. Tu en as mis du temps., préféra-t-elle se défendre avec humour, plutôt que de succomber à la beauté de Reiner.

Reiner ne rétorqua pas, parce qu'il scruta avec malice la démarche d'Eliabel. Elle souffrait de courbatures, et marchait avec un pas plus lent qu'à son habitude. Le matériel de pêche attendait sur le pas de la porte : les cannes à pêche, le sceau et le panier avec les appâts.

- Fais comme chez toi le temps que..., Reiner aurait aimé profiter de la vision avide d'Eliabel, mais ses talons rebroussèrent chemin plus précipitamment que prévu. Il se rua ainsi vers la salle d'eau, feint de tailler son bouc, fit une toilette intime, parfuma sa peau et enfila une tenue confortable mais moderne.

Lorsque Reiner vint dans le salon, une vision idyllique s'offrit à lui. Eliabel l'attendait de dos (avec une tasse de thé chaude à la main) et profitait des rayons réconfortants du soleil, avec ses paupières fermées. Elle portait un pull léger à col bardot, et était éblouissante. Rayonnante, resplendissante.

- Je t'entends, tu sais. La discrétion n'est pas une qualité que tu partages avec ton chat., affirma-t-elle en faisant volte-face vers lui. Tu es beau. Elle était farouche Eliabel. Sauvage, libre, indomptable, insoumise.

- Toi, tu es magnifique, lui déclara-t-il en n'osant pas l'approcher. De peur qu'elle s'envole, s'enfuit et ne soit tout simplement pas réelle. Eliabel fit le premier pas. Ses pupilles plantées dans celles de Reiner, le silence prenait tout son sens dans ce moment intime. Les cannes tombèrent dans un fracas assourdissant, mais provoquèrent un sourire malicieux du coin des lèvres d'Eliabel. Le vent les avait interrompus, et elle planifiait tout juste sa revanche. Briser un tel instant de tension méritait d'être envoyé en enfer. Je suis prêt quand tu l'es, je te suis., lui confia-t-il en détournant son itinéraire pour se rendre à l'entrée.

Eliabel passa à côté de Reiner, en démêlant consciemment des mèches de ses cheveux détachés. Elle l'aimait d'une façon que c'était pas possible de le dire. Elle le désirait, et se tenait prête à négocier qu'une exigence : celle qu'il soit à ses côtés... Durant toute sa vie.

***

- On devrait rentrer, le jour va bientôt se coucher. Reiner et Eliabel relevèrent leur nez de la rivière qu'à la tombée de la nuit. Leur objectif n'était pas de pêcher de nombreux poissons, mais plutôt de s'aventurer dans la rédaction d'un inventaire. Ils avaient alors attrapé différentes espèces, les avaient répertoriées et leur avaient rendu la liberté.

La journée était passée comme peau de chagrin, car Eliabel et Reiner s'étaient trouvés un coin tranquille caché des regards intrusifs, et s'étaient construits un nid douillet : entre un parasol, une nappe de pique-nique, des coussins, des livres, une glacière... Ils avaient passé le temps à se connaître, à se fixer à s'en brûler les rétines et à tomber amoureux, surtout.

Eliabel et Reiner entrevoyaient l'avenir : ils se créeraient des souvenirs en bâtissant un jardin en ville, en jouant à un jeu de société (les échecs, précisément) et en se rendant à un concert. Il était heureux et soulagé d'entrapercevoir l'avenir, avec douceur et sérénité. Le tonnerre fit malheureusement sursauter Eliabel. Reiner redressa donc sa nuque jusqu'au ciel, et découvrit des nuages lourds, menaçants et noirs.

- Je suis désolé, mais on doit se réfugier chez moi parce qu'on n'aura pas le temps d'arriver jusqu'à ton appartement, certifia Reiner en repliant si hâtivement les affaires qu'Eliabel en fut étonnée. Il gardait des réflexes militaires, mais elle aimait en vérité son côté ordonné et organisé.

- Je suis prête quand tu l'es, je te suis., lui confessa-t-elle en entrelaçant ses doigts dans la main chaude de Reiner. Sa poigne était ferme, mais celle-ci transmit la force dont Eliabel avait besoin pour courir. Elle détestait se précipiter, mais savait aussi reconnaître les urgences.

Eliabel et Reiner se faufilèrent à travers les ruelles sombres de la ville. Les cheveux, le visage, les bras, les jambes, les chevilles : aucune partie corporelle n'était épargnée par la pluie froide et douloureuse. Il prépara le trousseau de ses clés, et l'emboîta immédiatement dans la serrure. Ils se précipitèrent dans le sas, où ils n'attendirent pas pour rire aux éclats.

- Tu es prioritaire pour la douche. Je vais te chercher des vêtements qui seront grands, mais chauds et secs., lui assura-t-il en lui tendant l'un des plaids pliés sur le canapé. Tu trouveras dans le meuble tout ce dont tu as besoin : le petit chauffage et les serviettes.

- Je me dépêche., promit Eliabel en retirant son pull, pour dévoiler un petit débardeur aux bretelles fines. Toutefois, l'attention de Reiner fut détournée par un bouton inflammé sur l'omoplate. Elle ne se soignait pas, au plus grand dam de l'homme qui l'aimait.

- Tu rapporteras des compresses, du désinfectant, de la crème cicatrisante et un pansement, s'il te plaît., lui demanda-t-il tandis qu'il se dirigeait vers sa bibliothèque.

De l'autre côté de la mer - Reiner BraunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant