Chapitre 10 - Sourire

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Eliabel était une joueuse merveilleuse de piano. Ses doigts glissaient vertueusement, et l'air s'emplissait de mélodies harmonieuses. Reiner pouvait l'admirer durant des heures, les bras croisés sur l'instrument de musique, la tête reposée et les yeux fermés.

La majorité du temps, Eliabel chantait des chansons envoûtantes... Mais depuis une semaine, elle fredonnait des chants tristes. Reiner était à ses côtés, tous les soirs où elle rentrait éreintée et irritée du travail.

Eliabel traversait une mauvaise passe. Les doutes, les remises en cause et en question : elle savait qu'elle exerçait un métier avec des responsabilités. Et ce poste ne lui laissait ainsi aucun répit. Sauf que quand elle passait la porte, Reiner était sa bouffée d'air frais, sa bouée de sauvetage. Il la libérait de son manteau et de sa carapace, lui servait un thé chaud et réconfortant, et préparait le repas.

Elle devenait taciturne et taiseuse Eliabel dans ces moments de colère, de haine et de rancœur. La femme pardonnait, mais n'excusait pas. Ni les paroles et encore moins les actes manqués. Elle était une tacticienne, à préparer sa vengeance et à réfléchir à de nombreuses stratégies. La pédiatre avait subi différentes déceptions, mais ne s'était jamais résignée.

La chanson parlait de corps, de mal, de déni, de faiblesses et de regrets. Elle collait à la peau d'Eliabel, et la jeune femme l'interprétait comme si elle en était l'auteur. Se relever malgré les bruits dans la tête, les souvenirs et la mémoire.

Reiner était concentré sur elle. Eliabel semblait ne plus vouloir s'arrêter. La folie, le chemin, la maison... Retrouver les clés de la raison. Elle conclut par une vérité universelle : "J'en ai que faire du regard des gens... Qui sont-ils pour me juger ?".

Elle était dans le vrai Eliabel. Elle changea de registre, mais les pensées de Reiner étaient déjà ailleurs... Jusqu'à ce qu'une phrase attire son attention, qu'elle aurait aimé garder le meilleur de qu'ils étaient.

Eliabel rabattit le couvre-note, et décida enfin de se tourner vers Reiner. L'expression de ses yeux avait changée : sa rancune la quittait le temps des soirées partagés avec l'homme qu'elle aimait. Eliabel et Reiner s'apprivoisaient comme le renard avec son petit prince.

Ils s'étaient rapprochés depuis des semaines, surtout le soir sur le canapé. Eliabel et Reiner s'enroulaient dans des plaids, s'effleuraient leurs mains, entrelaçaient leurs doigts et savaient depuis hier soir qu'ils avaient atteint un point de non-retour.

Eliabel s'était dangereusement approchée des lèvres de Reiner. Parce qu'elle avait commencé par embrasser sa joue, pour descendre sur son bouc, qu'elle aimait tant. Ils avaient été traversés par un éclair de surprise paradoxalement addictif. Ils auraient voulu profiter de cet instant de désir pour s'abandonner à tout l'amour qu'ils se portaient, mais elle n'aimait pas le brusquer.

Sauf que depuis cette intimité nouvelle et ce rapprochement, Reiner se sentait porté par un courage indescriptible, et souhaitait assumer et assurer ses émotions, ses ressentis, ses sensations et ses sentiments.

Reiner se rapprocha sagement d'Eliabel, toujours assise sur la banquette. Elle était magnifique, de dos. Son parfum était odorant, sa peau était douce et elle avait lissé ses cheveux. Il était torse nu, car les rayons du soleil cognaient fort en cette fin d'après-midi.

Eliabel sentit Reiner. Elle cala son dos contre son torse, et il posa doucement ses mains sur les épaules de la femme qu'il désirait épouser. Ils frissonnèrent, car leurs corps ne pouvaient pas dissimuler la tension dans l'air.

D'une audace inavouable, Reiner se pencha et déposa ses lèvres contre la nuque d'Eliabel. Le temps s'arrêta un instant. Ce moment était doux et intemporel. Sensuel et tendre. Bestial et charnel. Sa bouche était charnue et chaude, en contradiction avec la peau fine et fraîche de la jeune femme. Il déposa un baiser long et indélébile.

Eliabel se redressa subitement, tourna élégamment les talons et plongea son regard dans les yeux - stupéfaits et inquiets - de Reiner. Ils se dévisagèrent, parce qu'ils essayèrent de trouver le moindre refus de s'attacher. Ils ne trouvèrent rien, exceptée de l'envie... Celle de se lier.

Elle ne résista pas à la tentation de l'admirer. Eliabel aimait tout chez Reiner : sa beauté, sa discrétion, son charme. Ses cheveux blonds coiffés, son regard expressif, sa carrure. Sa force, sa protection, son respect.

Reiner se savait admiré, et ne détourna pas les yeux. Les doigts explorateurs d'Eliabel ne lui provoquèrent aucun rougissement sur le visage. Il assembla ses forces, expira une dernière fois, et se pencha pour embrasser Eliabel.

Elle encouragea ce baiser en posant ses mains sur les joues de Reiner. Il était timide, élégant et attentionné. Cette fois était la première pour lui. Eliabel était délicate, séductrice et aventureuse. Son expérience et sa témérité rassuraient le jeune homme.

Eliabel intensifia le baiser. Les paupières fermées, bien que celles de Reiner étaient éveillées. Il ne souhaitait manquer aucun détail des faits et gestes de sa femme. Elle menait la danse, et il s'abandonna éperdument à ses pas, à sa chorégraphie, à son costume, à la musique.

Reiner était à un ballet, profondément ensorcelé par Eliabel. Il ne voulait plus que faire un avec elle.

De l'autre côté de la mer - Reiner BraunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant