Chapitre 5 - Douleur

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- Ce dîner était un véritable régal. Tu cuisines merveilleusement bien..., avoua Eliabel avec sincérité, en s'essuyant le coin de ses lèvres avec la jolie serviette en tissu blanc que lui avait tendu Reiner. Son regard se détourna malheureusement d'elle, et il sentit également ses joues rougirent... Parce que Reiner n'était pas habitué à de tels compliments. Chaleureux, honnêtes, spontanés. Qui t'a appris à préparer tous ces plats ?, demanda-t-elle en empilant les assiettes pour aider Reiner à débarrasser la table.

- Reste assise, la prévint-il en agissant d'une façon tout à fait imprévisible et inattendue : Reiner osa poser sa main sur l'épaule d'Eliabel, et... Il ressentait un authentique coup de coeur pour cette jeune femme, dont il se retenait d'admirer la beauté et de boire ses paroles.

- Non, je participe, insista-t-elle en déposant ses doigts chauds, délicats et fins sur la peau gelée de Reiner. Ils ne pouvaient jurer que par une certitude : si l'un ressentait assez de courage pour exprimer ce qu'il ressentait, la situation deviendrait douce, intime et tendre. Tu as la peau glacée... Pourtant, la température ambiante est agréable. Reiner se retint de réagir en grimaçant, car il savait qu'Eliabel profiterait d'un premier avantage titanesque : celui de connaître l'effet qu'elle provoquait sur lui.

- Un ami. Nicolo, lui répondit-il précipitamment en tournant les talons et en focalisant son attention sur la montagne de vaisselle à laver, à sécher et à ranger. Je te prépare quel thé ?, l'interrogea-t-il en essayant de mettre de l'ordre dans ses pensées. Oolong, baies et fleurs, pamplemousse et écorces de citron bio ou poire et feuilles de mûrier bio, lut-il avec une certaine difficulté, parce que sa vue se brouilla inexplicablement.

- Le thé vert conviendra parfaitement avec la tarte aux citrons meringuée, assura-t-elle en s'approchant de Reiner, qui dressait toujours le plateau avec la théière, les tasses, le sucre et le lait avant la fin de la soirée.

Eliabel se pencha vers le petit frigo, et ressortit délicatement le dessert. Elle ouvrit méticuleusement la boîte, et Reiner lui tendit un plat rond en faïence, et elle découpa le gâteau à parts parfaitement égales. L'eau bouillit, il versa précautionneusement le contenant brûlant et invita Eliabel à s'asseoir sur le canapé, et sans un mot : ses yeux expressifs suffisaient.

Eliabel caressa l'assise, et essaya de contenir les battements de son cœur qui cognait intensivement contre sa poitrine. Reiner se rapprochait, et elle se retenait pour ne pas l'enlacer, sentir son parfum, s'enivrer de son odeur...

- Je pensais que la... Meringue serait plus sucrée. Reiner interrompit Eliabel dans ses introspections. Ses pensées revinrent brutalement à la réalité, et elle croqua à pleines dents dans la portion qui lui était réservée. Il la dévisagea avec surprise, car elle devait bien être la seule dans la noble famille Geldstein à dévorer un bout de tarte à la main, avec une simple serviette.

- Chette tartche est ma favorite, réussit-elle finalement à articuler. J'avais besoin d'énergie pour te demander une faveur Reiner, confessa-t-elle en buvant une longue gorgée de thé. Comment se déroule ta thérapie ?

Le fait d'être honnête était-il toujours un atout ? Parce que Reiner s'attendait à toutes les questions, sauf à celle-ci... Qui le détestabilisa, avant de se persuader qu'Eliabel possédait sans doute une bonne raison de l'interroger sur ce sujet. En effet, elle était médecin et il pouvait se confier en confiance, en sérénité et en tranquillité. Enfin, il n'avait aucune raison de se méfier d'elle.

- Les séances sont rares, mais je me plains pas car je suis conscient que les blessés physiques sont prioritaires. Et j'ai une liste d'activités à accomplir qui me permettent d'être sur le chemin de la guérison, de la paix, de la résilience... Ses cordes vocales se nouèrent malgré lui : Reiner restait honteux de sa santé mentale.

- Tu dois savoir une chose Reiner : si un premier enfant vient dans mon bureau avec une flèche dans le pied, et qu'un second arrive aux urgences avec deux blessures caractéristiques, mon objectif reste inchangé : celui de constater les dégâts, de réaliser des examens, de prendre une décision, de soigner et de surveiller, expliqua-t-elle en mordillant son pouce pour ne laisser aucune miette. Nous pouvons faire ces activités ensemble, déclara-t-elle avec un naturel qui déconcerta Reiner. En effet, aucune personne ne le regardait et se souciait de lui aussi bien qu'Eliabel. Par ailleurs, pour quelles raisons ?

- J'ai rien à t'offrir Eliabel, se confia-t-il honteusement en retenant les larmes au coin de ses yeux. Exceptés mes remords, mes regrets et mon désespoir qui m'a mené au suicide à différentes reprises. Je veux pas être un fardeau pour toi, tu mérites un homme qui...

- Quoi ? Soit beau, fort et grand ? Tous ces critères sont respectés avec toi. Elle était audacieuse Eliabel, et elle savait que cette force était l'un de ses points forts. Comme son ambition et sa volonté d'aimer. Si Reiner lui demandait la lune, elle rassemblerait tous les moyens pour parvenir à l'astre, le décrocher et surtout le rapporter.

La liste se trouvait sur la deuxième étagère de la table basse. Reiner la chercha de la main, anesthésié par le choc, mais n'attendit pas pour la présenter à Eliabel. Elle ouvrit le papier, et le parcourut du regard.

- Rejoins-moi demain en fin d'après-midi sur le port, près de la boutique du marchand de glace, affirma-t-elle en repliant la feuille avec un sourire malicieux. Eliabel réfléchissait toujours à des idées brillantes, ingénieuses et insolites. Habille-toi bien, lui indiqua-t-elle.

Eliabel porta élégamment sa tasse à ses lèvres. Reiner savait qu'elle était gracieuse avec son port de tête droit, et son regard qui se perdait progressivement dans le vide. Elle s'organisait silencieusement, en étant consciente d'un privilège précieux : celui de partager des moments hors du temps, de détente et de joie avec Reiner.

Reiner était embarrassé, gêné de la générosité d'Eliabel. Les femmes ne lui avaient jamais accordé aucune attention, et il se trouvait soudainement entouré de la plus belle d'entre elles, qui s'engageait à ses côtés pour sa guérison... Sans rien attendre en retour.

Il ne pouvait détourner ses yeux d'elle. Eliabel et Reiner savaient qu'ils étaient chanceux de profiter d'un silence calme, qui n'était pas malaisant : bien au contraire. Ils étaient sensibles aux détails qu'offrait le décor dans la lumière naturelle et tamisée des bougies, le hululement d'une chouette au loin, l'odeur apaisante de l'encens et le goût énergisant des agrumes.

- Un thermos de chocolat chaud te ferait plaisir ? Reiner interrogeait Eliabel, bien qu'il était le maître de l'organisation lors de n'importe quelle sortie. En effet, sa tenue était toujours appropriée, il portait un sac à dos (avec ses papiers et ses clés), n'oubliait jamais ses lunettes de soleil, sa gourde d'eau, des mouchoirs et sa trousse de secours.

- Oh oui... Parce que cette boisson était celle de mon enfance, et de mon internat, raconta-t-elle avec une nostalgie perceptible dans sa voix. Je prépare aussi des biberons de cette boisson réconfortante après des consultations longues pour les enfants, car ils le méritent en étant courageux. Comme toi, dévoila Eliabel en plongeant son regard profond dans celui de Reiner. Elle se dévoilait par les mots alors qu'il s'exprimait par les gestes.

- Je fais de mon mieux Eliabel, l'informa-t-il en posant son dessous de verre pour lui montrer les couvertures sur le dos du canapé. J'apporterai ainsi ces plaids chauds et épais. Eliabel bailla, et Reiner reconnut la fatigue sur le visage de la femme qu'il aimait. Tu peux dormir dans ma chambre si tu veux, le lit est propre de ce matin. Son audace le surprit autant qu'elle, qui fut en réalité soulagée de sa proposition galante.

- Je dois partir tôt demain matin, mais je te promets que quand tu te lèveras, les draps seront changés, la pièce sera fraîche et que des viennoiseries t'attendront, certifia-t-elle en se levant pour se diriger vers sa malette. Eliabel devait transporter nombreuses de ses affaires. Merci pour cette merveilleuse soirée Reiner. Fais de beaux rêves, à demain. Elle se pencha une dernière fois vers lui, et lui déposa un doux baiser sur le front.

De l'autre côté de la mer - Reiner BraunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant