Chapitre 9 - Paroles

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Un silence d'or régnait dans l'appartement de Reiner. Eiabel et lui s'étaient douchés sous l'eau brûlante, et se réchauffaient dorénavant devant le feu de cheminée. Enfin... Il la soignait. Avec des gestes délicats, et toute la tendresse dont il espérait qu'elle comprenne.

Le bruit sec d'un livre lourd qui tomba les fit sursauter, et provoqua chez Eliabel et Reiner une réaction commune : celle de tourner subitement leur nuque pour comprendre la raison de ce vacarme. Un album photo.

- Pardonne-moi un instant. Eliabel et Reiner se dévisagèrent et se sourirent, car ils prononçaient souvent des paroles similaires. Elle était agile, et cette raison fut pour laquelle elle saisit l'objet précieux avec dextérité. Je peux le feuilleter ? Alors qu'il était troublé par son passé, le respect et la demande d'Eliabel le convainquirent de lui accorder ce privilège. Il acquiesça, et elle découvrit des photographies miraculeusement sauvées de la fin du monde.

- Tu es beau Reiner, confessa-t-elle en tournant doucement chaque page, comme si Eliabel essayait de mémoriser chaque souvenir. Reiner serra les dents, mais pas pour la raison habituelle. Non : son regard était attiré par le décolleté naissant et plongeant de la femme qu'il aimait. Hanna est la gardienne du temps chez les Geldstein. Tu pourras lui demander des clichés de moi... Si Marius et Eren ne t'embêtent pas trop entre temps., déclara-t-elle en retenant un petit rire malicieux.

Eliabel tournait les pages inlassablement, même quand Reiner jeta les emballages et se lava les mains. Il ferma aussi les volets, et ne laissa que deux petites lampes allumées. Eliabel ferma le recueil poussiéreux, et alluma une bougie sur la table basse. Elle était assise sur le tapis, mais pour rien au monde elle ne voulait être ailleurs que l'endroit où elle se tenait. Elle était fatiguée, il était épuisé mais leurs yeux se rencontrèrent enfin.

Eliabel s'approcha de lui, et se hissa sur ses genoux. Ses doigts effleurèrent la mâchoire de Reiner, qui ne put retenir la vague de frissons envahirent son corps. Elle posa ses lèvres pulpeuses sur son front, et... Si elle avait pu persévérer, elle lui aurait embrassé son nez, ses pommettes pour se perdre sur sa bouche. Elle le désirait, tout en ressentant du respect.

- Bonne nuit Reiner, à demain. Eliabel aurait tout donné pour conclure par "Je t'aime"...

- Je peux te serrer dans mes bras ? La demande de Reiner avait glissée de ses lèvres sans qu'il ne puisse (essayer de) la retenir. Il était gêné, presque honteux jusqu'à ce qu'Eliabel se fonde dans ses bras. Ils étaient chaudement habillés, et le regrettaient désormais. Elle avait enfilé un jogging trop grand pour sa taille, mais était plus belle que jamais pour lui.

- Enlève-le., susurra-t-elle à son oreille en agrippant son débardeur. Il lui faisait confiance, et c'est pourquoi il se déshabilla. Il était embarrassé, mais voulait s'abandonner à elle. Les doigts fins d'Eliabel se faufilèrent sur le petit oblique, remontèrent au nombril pour se perdre sur le pectoral. Le souffle de Reiner était saccadé, en contraste avec celui d'Eliabel qui... Elle s'endormait. Il resta un instant immobile, jusqu'à glisser son nez dans sa chevelure.

Reiner possédait une force titanesque, et c'est la raison pour laquelle il réussit à se lever avec Eliabel dans ses bras. Il prêta de l'attention à ses pas (pour qu'ils soient discrets et légers) et la posa délicatement dans son lit. Il remonta les draps, et décida d'agir et d'oser. Il lui caressa tendrement la joue et tourna les talons, le cœur aussi léger que lourd.

***

Les cauchemars de Reiner furent monstrueux. Eliabel qui était victime d'une fausse-couche, accouchait d'un enfant mort-né, était diagnostiquée d'un cancer, mourait dans ses bras... Ses paupières se réveillèrent en sursaut. Il était trempé de sueur.

- Reiner, je peux entrer dans le salon ? Eliabel, et l'effet miraculeux de sa voix. Elle avait l'attention toujours focalisée sur son environnement, l'ouïe fine et une force de réaction incomparable.

- Oui, viens., murmura-t-il en espérant que... Eliabel s'élança dans la pièce à vivre, et se rua vers Reiner, dont le corps ressemblait à un pantin désarticulé. Son torse se soulevait d'air inspiré et bloqué, son regard était révulsé et des larmes rondes inondaient ses joues.

Les paumes d'Eliabel étaient froides, et cette fraîcheur permit aux pensées de Reiner de revenir au moment présent. Il détailla immédiatement la tenue de cette femme qu'il désirait. Elle était habillée d'un long peignoir épais, était venue avec un petit bougeoir, et était d'ores et déjà assise sur le matelas du canapé convertible.

- C'est fini maintenant., lui assura-t-elle en remettant en place les mèches des cheveux de Reiner qui lui tombait sur les cils. Elle était maternelle Eliabel. Protectrice et rassurante. Il saisit la bouteille d'eau vers ses hanches, se redressa sur ses coudes et but une longue gorgée.

- Merci., avoua-t-il, même s'il ne reprenait pas totalement ses esprits. Néanmoins, il se savait chanceux de ne pas être seul, tout en se sentant honteusement redevable. Il devait à son tour prendre soin d'Eliabel. Pardonne-moi de te déranger en pleine nuit.

- Tu n'as pas à t'excuser, parce que tu ne fais rien de mal., lui certifia-t-elle en frottant ses jambes pour ne pas attraper froid. Eliabel sembla grelotter. As-tu besoin de quelque chose ?, l'interrogea-t-elle en plongeant ses yeux dans ceux de Reiner. Il baissa la tête, mal à l'aise de sa prochaine demande, qu'il ne formula pas mais dont il désigna la volonté tant désirée : la place vide à côté de lui.

Or, Eliabel n'eut pas la réaction que Reiner attendait : elle se leva, mais au moment où il crut qu'elle tournerait les talons, elle se dirigea vers le côté inoccupé. Cette fois était la première où il dormait avec une femme. Celle qui voulait, au mystique prénom d'Eliabel.

***

Reiner ne se rendormit pas cette nuit-là, mais il contempla Eliabel. Elle était apaisante, jolie, désirante. Il se leva naturellement aux aurores, et lui servit le petit-déjeuner au lit. D'humeur un peu grincheuse, elle lui expliqua la raison de son attitude renfrognée : une césarienne était programmée, pour une petite-fille qui souffrait d'une malformation cardiaque. Il tenta de la rassurer comme il pouvait, mais elle partit en traînant des pieds, mais en lui révélant une seule impatience : celle d'être à ses côtés le soir.

Il était en repos, et en profita ainsi pour aérer l'appartement, étendre les lessives et rendre visite à Mikasa. Eren, Hanna, Marius et toute la famille. Cette visite lui fit le plus grand bien, car Reiner redoutait en vérité la réaction d'Eliabel en fin de journée. Il ressentait une pression indescriptible : celle de ne pas être à sa hauteur par rapport à son soutien indéfectible et indélébile, et de ne pas lui transmettre une influence aussi bonne et puissante dont elle seule détenait le secret. Il rentra le moral dans les chaussettes, entre la tristesse de devoir redonner Eren à sa mère, et son instinct empathique au plus fort de son intensité.

Lorsque Reiner entendit la serrure se tourner dans la porte, il préféra venir tout de suite au contact d'Eliabel. Les femmes Geldstein se ressemblaient dans le combat, parce qu'elles en étaient dignes, fières et honorables. Elle ne s'effondra pas devant lui, bien que son silence était assourdissant. En réalité, elle rêvait de se blottir dans les bras réconfortants de Reiner, mais refusait de se libérer de ses démons devant lui.

Le cœur de la petite-fille ne battait plus. Son souffle n'avait pas pu s'épanouir, car la mort l'avait déjà cueillie. Toutefois, Eliabel l'avait accueillie dans ce monde. Puis, elle l'avait lentement glissé dans les mains de la jeune maman inconsolable, comme la pédiatre. Pour la première fois, elle n'était pas partie avec l'enveloppe charnelle de l'enfant : elle avait préféré déléguer ce dernier voyage à l'infirmier. Enfin, elle avait rempli les papiers administratifs et maugréait dans ces moments son métier, qui était sa passion. 

Eliabel prépara alors une casserole de chocolat chaud, en servit évidemment une tasse à Reiner mais préféra se réfugier dans le fauteuil à bascule du balcon, les jambes repliées sur son ventre. Il n'attendit pas pour la rejoindre, avec une boîte de mouchoirs à la main.

Elle pleurait à chaudes larmes, la poitrine secouée de spasmes, les yeux rouges et la peau gonflée. Eliabel essaya de se cacher de Reiner par pudeur, mais il glissa ses mains sur ses frêles épaules. Elle ne se calma pas dans l'immédiat, parce que le chagrin était féroce. Il s'agenouilla donc à sa hauteur, et découvrit une perle blanche dans le creux de la main d'Eliabel, qu'il embrassa amoureusement.

De l'autre côté de la mer - Reiner BraunOù les histoires vivent. Découvrez maintenant