Le Prix de la Liberté (Tome I)

1 I Une lumière dans les ténèbres

Il errait, sans but, les bras ballants, se demandant quel avenir il avait encore. Ici, dans ce trou à rats digne d'être appelé l'Enfer, qui voudrait s'intéresser à lui, à ses rêves et à ses espoirs ? Certainement pas cet enfoiré de Kenny, qui ne venait que rarement, pour lui faire des reproches et pour lui donner des leçons...à sa manière. La violence, il ne connaissait que ça. Elle était sa compagne d'infortune. Sa seule amie.

Tout était crade ici. Le sol, les gens, même l'air qu'on respirait. Les lumières artificielles n'avaient rien de semblable avec ce qu'il avait entendu de la lumière du dehors, celle que le soleil étendait sur le monde. Les odeurs ici étaient un mélange d'alcool, de pisse et de poubelles. Rien de bien paradisiaque. "Dégueulasse", songea le garçon en donnant un coup de pied dans un caillou.

Il fut sorti de ses pensées sombres quand quelqu'un lui bouscula l'épaule. Il serra les dents et se retourna, prêt à engueuler l'enfoiré qui ne regardait pas devant lui...mais les mots moururent dans sa gorge tandis qu'il faisait face à une vision inédite. Une jeune fille, sans doute à peine plus jeune que lui, lui souriait comme s'il était un vieil ami. Ses beaux cheveux noirs tombaient en une cascade de boucles dans son dos et ses yeux bleus semblaient briller d'une lueur étrange.

"Attends !", tenta-t-il, tendant la main vers elle.

Mais elle partait déjà, nullement perturbée par leur rencontre. Non loin derrière elle, trois sales mioches couraient aussi, la poursuivant sans doute. Trois pauvres crétins qu'il avait soudainement envie d'écraser sous ses poings. Alors il se mit à courir lui aussi, comme si sa vie en dépendait. Comme si c'était son seul et unique but. Il devait les rattraper et botter le cul de ces trois imbéciles. Ensuite, il pourrait voir cette fille...et comprendre pourquoi son coeur s'était soudainement mis à battre si vite.

Avait-il peur pour elle ? Évidemment. Mais n'y avait-il que ça ? Il était bien incapable d'apporter la moindre réponse à cette question. Pour ça, il devait la revoir.

Quand il arriva sur les hauteurs de la ville, il entendit des gémissements étouffés. Avaient-ils mis la main sur elle ? L'avaient-ils frappée ? Tuée ? Non, il ne voulait pas l'envisager. Il avança, sur ses gardes, la main au bord de sa poche, prêt à dégainer son couteau. Cette saloperie d'arme avait déjà fait couler pas mal de sang. Il n'était plus à ça près.

Il surgit...et vit la jeune fille gratifier le seul môme encore debout d'un coup de poing en pleine figure. Il tomba au sol, mais il eut l'intelligence de ne pas se relever. Ou peut-être qu'il était sonné et totalement incapable de bouger, en fin de compte. Quant à elle, elle fit encore une chose à laquelle il ne s'attendait pas. Elle leva la tête vers le plafond, son visage baignant dans une lumière presque aveuglante. Là, il réalisa qu'un trou faisait parvenir jusqu'à elle la lumière de l'extérieur. Et elle souriait encore. Ce sourire... Il voulait qu'elle le porte toujours, car il lui allait incroyablement bien.

Il s'avança lentement vers elle, par peur qu'elle fuie ou par crainte de rompre la magie de ce moment, il ne saurait le dire. Au bout d'une poignée de secondes, elle reporta son regard sur lui. L'ombre du beau sourire qu'elle arborait planait toujours sur son visage. Elle était si belle...

"Je viens souvent ici", commença-t-elle d'une voix douce. "Mais je ne t'avais encore jamais vu".

Désemparé par le velours de sa voix, il resta un instant interdit, assimilant ses paroles. Que lui prenait-il à la fin ? Jamais il ne s'était retrouvé désarmé devant quiconque. Pourtant, Kenny lui avait appris que les femmes étaient une faiblesse. Cette leçon, il était cependant prêt à la laisser derrière lui.

"Je sors rarement de chez moi", répondit-il d'un ton plat.

"Tes parents ne te l'autorisent pas ?"

"Je n'ai pas de parents... Plus maintenant".

"Moi non plus", répondit la fillette dans un énième sourire. "Mais je me débrouille très bien toute seule".

Le coeur du garçon manqua un battement. Alors elle était comme lui, livrée à elle-même. Pourtant, elle ne semblait pas avoir baissé les bras. Elle continuait de se battre, elle avançait et elle semblait heureuse. Enfin, aussi heureuse qu'on pouvait l'être dans les Bas Fonds...

"Comment tu t'appelles ?", poursuivit-elle, s'approchant de lui tout en le détaillant.

"Livaï..."

"C'est un joli prénom", remarqua-t-elle dans un sourire, tendant sa main devant elle. "Moi c'est Akira".

Il prit sa main dans la sienne, sentant instantanément une douce chaleur se répandre dans tout son corps. Cette fille... Elle l'intriguait au plus haut point. Il aurait dû se méfier d'elle comme il se méfiait de tous les habitants de cet endroit maudit. Il en fut incapable.

Elle lui parla de son rêve, de son désir de quitter ce trou afin d'intégrer le Bataillon d'Exploration, à la surface. Elle voulait partir vers l'inconnu, vers une vie libre de toute entrave. Quoi de mieux que les ailes de la liberté pour ça ?

Il se surprit alors à partager ce rêve. Le Bataillon d'Exploration. Ça semblait vraiment intéressant. Alors ils iraient ensemble, il le lui promit.

Et à ses côtés, cet endroit maudit semblait l'être un peu moins. À ses côtés, il pourrait survivre assez longtemps pour faire de leur rêve une réalité.