Le Prix de la Liberté (Tome I)

2 I Ensemble pour toujours

Trois mois s'étaient écoulés depuis leur rencontre. Ils avaient décidé de vivre dans la même maison, celle qu'occupait la fillette, pour pouvoir veiller l'un sur l'autre. Les garçons n'étaient pas revenus ennuyer Akira, ils avaient vu qu'elle restait aux côtés de Livaï donc ils avaient renoncé. La réputation violente du garçon n'était plus à faire. Il n'avait par ailleurs pas hésité à passer à tabac un gars qui avait voulu recruter Akira pour l'envoyer dans un bordel. Le pauvre homme garderait sans doute quelques cicatrices de cette rencontre.

Livaï tournait en rond dans la maison. Akira était partie depuis un moment, un trop long moment. Ça ne présageait rien de bon. Arrivant à bout de patience, il amorça un pas vers la porte d'entrée...qui s'ouvrit à la volée. Mais la personne qui se tenait dans l'encadrement n'avait rien à voir avec la fillette. Sa haute silhouette, son chapeau, son long manteau et la fumée qui s'échappait de la cigarette qu'il tenait entre ses lèvres... Nul doute n'était permis quant à son identité.

"Kenny...", souffla Livaï en reculant par réflexe.

Chaque apparition de ce type était synonyme de violence. Le garçon remercia soudain le ciel que son amie ne soit pas rentrée. Elle échapperait ainsi à la folie furieuse de ce monstre.

"J'aurais dû m'douter que tu s'rais là, nabot", pesta l'homme entre ses dents. "Faut croire que tu r'tiens pas tes leçons. On va y remédier".

Il fit craquer ses doigts, s'avançant d'un pas décidé. Livaï ferma les yeux, sachant que chaque seconde qui passait le rapprochait d'une chose à laquelle il ne pouvait pas échapper. Et le premier coup fusa. L'oreille du garçon siffla et il fut projeté au sol. Il allait encore avoir de sacrés bleus... Le deuxième coup ne tarda pas à suivre. Puis le troisième.

"Quand j'te dis de pas bouger de ton trou, tu bouges pas", ragea Kenny. "Va falloir que ta p'tite tête de sous-merde imprime".

Un coup de poing dans le ventre lui fit cracher de la bile et du sang. Il tomba au sol, des larmes de frustration s'accumulant dans ses yeux. Il n'était pas assez fort...

"Quand j't'aurai réglé ton compte, le moufflet, j'vais me faire une joie de..."

"Non !"

Des bruits de pas précipités. Et le bruit d'une gifle monumentale. Livaï entendit tout ça, mais aucune douleur. Et ses yeux s'écarquillèrent. Si ce n'était pas lui qui avait récolté cette violence, c'était...

"Akira !"

Mû d'une énergie nouvelle, Livaï se releva. Akira était au sol, du sang s'échappant de son nez. Cet enfoiré l'avait blessée. Fourrant la main dans sa poche, le garçon se rua sur Kenny, réussissant à sortir son couteau qu'il lui planta dans la cuisse. Surpris par ce geste, l'homme recula d'un pas, serrant les dents sous la douleur.

"Si tu la touches encore, je te tue !", gronda Livaï. "Ne t'approche plus jamais d'elle !"

Un rire lui répondit. Pris d'un fou rire - ou d'un rire fou, cela dépendait du point de vue -, Kenny reprit appui sur ses deux jambes, son regard alternant entre les deux gamins. Puis il secoua la tête et tourna les talons, prenant le chemin de la sortie.

"Z'avez pu besoin de moi, les mioches", siffla-t-il sans émotion. "Démerdez-vous maintenant".

Sur ces seuls mots, il claqua la porte derrière lui. Il était parti. Avec un peu de chance, il tiendrait parole et ne reviendrait plus. Livaï pouvait-il y croire ? Il décida que oui. Puis il concentra son attention sur Akira qui, toujours assise par terre, épongeait le sang sur son visage avec le bout de sa manche.

"Idiote", pesta Livaï en s'agenouillant face à elle pour finir de la nettoyer avec sa propre manche. "Pourquoi il a fallu que tu interviennes ? Tu t'es bêtement mise en danger !"

"Je voulais qu'il arrête de te faire mal...", répondit-elle d'une petite voix adoucie par l'émotion. "Je voulais juste te protéger".

"T'es vraiment pas possible".

Touché qu'elle ait voulu veiller sur lui, il l'entoura de ses bras, la serrant contre lui. S'il n'avait pas trouvé en lui le courage de la protéger, elle aurait sans doute été bien amochée. Mais il lui devait ce courage. C'était parce qu'elle avait été en danger qu'il avait enfin eu les couilles de faire front pour elle. Avec un peu de chance, leur problème n'était plus qu'un mauvais souvenir.

"Et pourquoi tu as mis autant de temps à revenir ?", la gronda-t-il après quelques instants, rompant leur étreinte. "T'as une idée de l'inquiétude que j'ai eue ?"

Pour toute réponse, la fillette sortit un sac qu'elle ouvrit entre eux. Elle en sortit du pain, de la viande séchée et une pomme. Les yeux de Livaï s'arrondirent. C'était un sacré butin. Ils ne mangeaient jamais à leur faim, c'était le propre de ceux qui habitaient dans les Bas Fonds. Pourtant, ce soir, elle leur donnait l'opportunité de se remplir le ventre. Et ils n'allaient pas s'en priver.

"Le vieux Mork n'a plus les yeux en face des trous", expliqua-t-elle dans un sourire amusé. "Mais il a les oreilles qui traînent. J'ai pu lui piquer tout ça sans difficulté, mais j'ai mis trois plombes à le semer..."

"Bon sang, me fous pu la trouille comme ça, ok ?", souffla le garçon en esquissant un fin sourire.

Ils partagèrent équitablement la nourriture et mangèrent, Akira lui racontant ce qui s'était passé lors de son escapade. Livaï n'en loupait pas une miette, l'écoutant avec la plus grande attention. C'était leur rituel quand l'un d'eux sortait pour voler. Ils se racontaient toujours ce qu'ils avaient fait, qui ils avaient vu, par où ils étaient passés.

Puis la fatigue gagna rapidement Akira. Livaï la prit par la main et la conduisit jusqu'au petit lit qu'ils partageaient. Ils n'étaient pas bien grands, aussi c'était amplement suffisant pour eux deux. Il l'aida à s'allonger puis, comme ils en avaient l'habitude, il s'allongea à ses côtés. Elle vint se blottir dans ses bras et soupira de bien-être, ce qui arracha un léger sourire au garçon. Il aimait être son repère, son ancre.

Quelques instants plus tard, ils s'endormaient tous les deux. Simplement heureux d'être ensemble.