Chapitre 4 : Infiltration

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Rena poussa la porte de la taverne. On lui adressa à peine un regard et sa présence fut rapidement oubliée. Elle salua le tavernier d'un signe de tête avant d'aller s'asseoir dans un coin de la salle. Les clients étaient bruyants. La plupart batifolaient avec les serveuses qui emplissaient l'air de leurs rires stridents et hypocrites, tout en se dérobant habilement lorsque certains clients se montraient un peu trop entreprenants.

D'autres femmes, sans doute des filles de joie, déambulaient entre les tables en lançant des clins d'œil aguicheurs aux clients les plus séduisants, ce qui ne manquait pas d'attiser la jalousie de leurs favoris.

Rena avait l'impression qu'à chaque seconde une bagarre allait éclater, mais la tension montait puis redescendait, sans qu'il ne se passe rien. Elle se tassa sur sa chaise, dissimulée dans la pénombre, invisible et silencieuse sans qu'aucun fait ou geste ne lui échappe.

Le tavernier lui apporta une pinte de bière aux relents de pisse de Sabali et une sorte de soupe qui avait l'air encore plus infâme que la plus infâme des bouillies de Karuto. Il lui jeta un regard de travers mais Rena l'ignora. Elle s'efforça de boire sa bière afin de ne pas éveiller les soupçons. Le liquide, âcre et acide à la fois avec un arrière-goût rance, était si infect qu'elle faillit tout recracher.

Elle jeta un regard discret autour d'elle, mais ne remarqua rien d'anormal. Une heure passa, puis deux. Elle songeait à reporter la phase de reconnaissance au lendemain lorsqu'une figure suspecte fit irruption dans la taverne.

Vêtu d'un grand manteau, le visage couvert par une grande écharpe et dissimulé dans l'ombre d'un chapeau à bords larges, l'individu se dirigea d'un pas vif vers le tavernier avec qui il échangea quelques mots à voix basse. Le chef d'établissement acquiesça puis lui indiqua une porte derrière le comptoir. L'homme le remercia d'un bref signe de la tête avant de disparaître dans l'arrière-salle.

Environ dix minutes plus tard, un deuxième homme fit son apparition. Sans attendre, il se rendit dans la même pièce. Puis encore une dizaine de minutes plus tard, ce fut au tour d'une femme de rejoindre les deux autres hommes. Rena était quasi sûre qu'il s'agissait d'une femme, car, malgré la cape et le chapeau qui cachait son visage, elle était de petite taille et portait des sandales à rubans.

Douze personnes défilèrent ainsi, neuf hommes et trois femmes. Quelques clients leur jetèrent des regards méfiants. À une table proche de la sienne, Rena surprit une conversation entre deux hommes.

— Qu'est-ce que tu crois qu'ils font là-bas ?

— J'sais pas, mais il paraît qu'ils cherchent à recruter de nouveaux membres.

— Recruter des membres ? Pour quoi faire ?

— J'en sais rien et j'veux pas le savoir. Mieux vaut ne pas se mêler de ce genre d'affaires. Moins on en sait, mieux c'est.

Cela mit fin à la conversation, mais la gardienne en avait appris suffisamment. Au bout d'une heure et demie, quelqu'un sortit enfin de la salle. De la même manière qu'ils étaient entrés, ils laissèrent un certain laps de temps entre chaque sortie.

Rena attendit que le dernier d'entre eux quitte la taverne, puis elle se leva à son tour, après avoir laissé une pièce d'or sur la table. Elle payait généreusement ce repas de piètre qualité.

                                         ***

Dehors, l'air était frais et humide. Dès qu'elle aperçut la silhouette de l'homme s'éloigner dans la rue, elle le prit en filature. Il tourna dans une ruelle, puis encore une autre. L'Ombre continuait de le suivre le plus discrètement possible. Il tourna à nouveau au coin d'un bâtiment, mais lorsqu'elle s'engagea dans le cul-de-sac à son tour, il avait disparu. Elle s'apprêtait à revenir sur ses pas lorsqu'un bras la tira en arrière. La pression exercée sur ses clavicules la paralysait.

Les Enfants de l'Oubli - TOME I : La ChuteOù les histoires vivent. Découvrez maintenant