Acte 1 - scène 3

5 1 0
                                    

Trois jours auparavant...

Je me suis réveillé de bonne heure ce matin. La maison est déserte. Un coup d'œil à l'horloge, sept heures. Ils dorment encore. En prenant soin de ne pas les priver des bras de Morphée, je fais un saut à ma chambre. J'enfile mon maillot et attrape ma serviette étendue sur la terrasse. Le soleil chatouille doucement la rivière aux reflets d'or. Je sais qu'elle se réchauffe lentement. Cela ne me dérange pas. Je laisse ma serviette sur le ponton. Sans même goûter l'eau — l'idée ne me traverse pas l'esprit — je plonge. Mes doigts se rétractent en prenant contact avec cette amie. Un frisson s'enroule le long de ma colonne vertébrale, s'étirant de ma nuque vers mon bassin. Après quelques nages, il disparaît. Et je peux enfin apprécier son rire joyeux. Je reviens vers le ponton quand j'aperçois le premier être humain du jour. Cela fait quoi — une heure ? une heure et demie ? – que je patauge. Maëlle, première couchée et habituellement, première levée, vient à ma rencontre.

« Bonjour, réveil matinal ?

— Eh oui. Et toi, bien dormit ?

Je nage jusqu'au ponton, m'y arrime. Elle s'installe, son plateau de petit-déjeuner — des tartines, des pêches et deux verres, un avec du jus d'orange et l'autre avec de l'eau — dans les mains.

— Je t'ai entendu te lever. J'ai su que tu viendrais la saluer. Sans déjeuner.

— Je plaide coupable ! »

Je sors de l'eau et prends le fruit ainsi que le verre qu'elle me tend. Une quinzaine de minutes plus tard, le plateau est vide et j'ai déjà replongé. Puis, avant de me quitter, alors que Benji affronte courageusement la lumière matinale, elle se baisse à mon niveau, m'embrasse sur le front, me tire la peau des joues, passe une main furtive dans ma tignasse trempée. Elle se relève et rejoins le benjamin, sûrement pour le jauger à son tour. Nous y avons droit chaque matin. C'est sa manière de nous saluer mais aussi, en quelques gestes, découvrir notre humeur du jour, la qualité de notre sommeil et même si ce qui nous tracasse... Nous ne pouvons pas lui mentir. Notre corps lui livre la vérité. Chacun a son rituel propre : Benji, refuse qu'elle lui touche les cheveux, écope donc d'un câlin, d'un bisou sur sa joue et enfin, une inspection des pieds à la tête. Marin, quant à lui, a droit à une intense observation, un échange de regards sans oublier un échange tactile. Souvent, elle lui attrape le petit doit pour l'embrasser sur sa joue. Elle fait tout cela en silence. Mine de rien, même si je me plains que je ne suis plus un gamin, que Benji râle qu'elle le serre trop fort et que Marin marmonne que c'est bizarre, nous apprécions ce rituel. Nous aimons ces contacts, ces instants magiques. Elle ne l'a jamais manqué, jamais oublié. Si nous découchons, nous y avons droit à notre retour. C'est rassurant, immuable. Même Margot a eu droit au sien : Maëlle l'embrasse sur le front, comme moi, la prend dans ses bras, comme Benji et l'observe longuement, comme Marin. Parfois, si elle le peut, elle coiffe Margot. Celle-ci ne dit rien, appréciant autant que nous. Maëlle l'a tacitement accepté comme l'une d'entre nous.

Finalement, je laisse la rivière à Benji, qui après avoir longtemps attendu qu'elle se réchauffe, vient d'y plonger. La porte s'ouvre alors que j'enfile un short.

« Si la porte est fermée, ce n'est pas pour rien. C'est à vos risques et périls sachant que...

— Oui oui je sais, fais une voix que je connais trop bien. Mais là, ça ne peut pas attendre !

— Que se passe-t-il ? m'enquiers-je alors qu'elle s'assoit sur le lit.

— Il s'est passé un truc de fou ce matin...

— Eh ben, il ne fait pas dans la dentelle, il n'est que... dix heures. Ah mais oui suis-je bête, cela fait des années qu'il traîne.

— Rabat-joie ! réplique-t-elle, fébrile sans même relever.

J'enfile un débardeur. Puis, je prends la chaise roulante, la rapproche du lit et m'assois dessus, la tête posée sur mes bras par-dessus le dossier.

— Qu'est-ce que tu attends, raconte !

— Il. M'a. Embrassé.

— Quoi ? je ne peux m'empêcher de crier.

Elle me plaque aussitôt les mains sur la bouche. Si je m'attendais à ça... Nous n'en avions plus reparler depuis la plage, quelques jours plutôt et je pensais qu'il avait changé ses plans.

— Mais ferme la sombre idiot !

— Pardon pardon, je murmure entre ses doigts.

Elle me libère aussitôt.

— Bon et alors ? Quand, comment, où ? Le pourquoi, je le connais déjà.

— C'était... Wow... Par où commencer ? Je dormais, tranquillement. Je me réveille, je vois l'heure et je me dis « oh mais je peux encore me rendormir, j'ai le temps... ». Je me tourne pour ne pas avoir la lumière dans les yeux...

Tiens elle reconnaît que la lumière la dérange.

— Mais juste avant que je sombre de nouveau, j'entends la porte qui s'ouvre. J'entre-ouvre les paupières et là je ne vois pas Marin refermant discrètement la porte ?! Il s'approche de mon lit, déplace les cheveux que j'avais sur le front et dit d'une voix tellement ténue : « Il faut se réveiller. C'est l'heure. » bon tu me connais, en comédienne parfaite, je râle et me retourne mais, il relève ma tête et là, je sens son souffle sur mon visage. Puis, ses lèvres sur les miennes...

— Et qu'est-ce qu'elle a fait la comédienne endormie ?

Elle rougit et regarde les couvertures embarrassées.

— Allez, tu ne peux pas t'arrêter en si bon chemin ! dis-je pour enfoncer le clou.

— Eh bien, je t'avoue que je pouvais plus jouer à la belle endormie alors je coupe le baiser et...

— Sérieux ? T'as pas pu faire ça ! je m'exclame, taquin.

— Mais t'es toujours aussi chiant quand on te raconte une histoire ? Ferme-la ! grommelle-t-elle en me lançant le coussin.

— D'accord d'accord, je concède en attrapant l'arme, mais je n'en pense pas moins.

— Je coupe le baiser, je me remets sur le dos. Là, évidemment, il semble gêné et lance des excuses inaudibles. J'entoure son cou avec mes bras et ramène son visage près du mien avant qu'il ne parte en courant et m'évite pour le reste des vacances. Et là, entre deux baisers intenses, je lui fais : « veux-tu être mon petit-ami ». Et... et voilà.

J'en reste bouche bée. Elle, elle est rouge pivoine et son regard fixe les poussières invisibles du drap.

 — Il t'a embrassé comme ça ? Tu l'as embrassé comme ça ? Et vous êtes ensemble ! Je ne peux cacher mon sourire grandissant qui tend la peau de mes joues. Mais c'est génial ! C'est définitivement ma romance préférée !

En réponse, j'ai droit à un deuxième oreiller. Ils sont ensemble. Enfin ! Même si cela me fait peur, peur de perdre mon frère, peur de perdre ma meilleure amie, je suis heureux. Infiniment heureux. Et elle, elle l'est bien plus. Une nouvelle lumière s'est allumée dans son regard. Il est différent.

Pourtant, cette joie n'est pas éternelle. Elle a duré trois jours... trois foutus jours !

Si j'avais su... Peut-être aurais-je pu changer leurs destins... Pourquoi ne m'étais-je pas écouté ? Pourquoi ? Maintenant, il est trop tard. Bien trop tard... Je n'ai que mes larmes pour pleurer.

Au fil des saisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant