Interlude

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 Les souvenirs sont dangereux.

Parfois, mieux oublier.

Sa jambe, les pompiers l'ont crue brisée. Ils la sortirent de l'habitacle avec précaution, elle gémissait de douleur au moindre mouvement. Elle fut prise en charge par une ambulance. Son frère refusa de s'éloigner d'elle, il l'accompagna. Sa jambe a été épargnée. Sa cheville, elle, n'a pas eu cette chance : elle est gonflée, colorée, cassée. On décida d'opérer l'enfant. Elle avait trois os brisés. Ils devaient être remis en place. Sa souffrance était immense. Elle prit des sédatifs avec la promesse rassurante que son frère serait là à son réveil. Elle fut amenée au bloc.

Il accepta d'être examiné, à son tour, le temps de l'opération. Il s'en sortit indemne avec peu de blessures physiques : côtes fêlées, brûlures, griffures... Autrement dit, rien. Les parents ont eu moins de chance, tous deux restèrent inconscients un long moment. La mère fut opérée en urgence, elle avait une hémorragie interne. Elle eut de la chance, l'un des blocs se libéra peu avant son arrivée aux urgences. La mère et la fille furent amenées en salle de réveil en même temps. Le gamin s'y faufila. Les infirmières ne purent l'en empêcher. Silencieux, assis dans un coin, il veillait. Et comme promit, il serait là à son réveil.

Ils gardèrent la famille plusieurs jours. Les enfants, comme les parents, purent rencontrer une psychologue. Elle était charmante, bienveillante. Le père, comme la mère, ne se souvenait pas de l'exactitude de l'accident. Tous deux avaient perdus connaissance dès le premier choc. Ils en avaient des réminiscences floues. « Cela devrait s'atténuer avec le temps, ça a été le cas pour de nombreuses victimes », leur dit-elle. Elle leur conseilla de reprendre le volant, au moins s'asseoir dans la voiture, de faire un tour de parking pour pouvoir avancer. Leur fille, quant à elle, se souvenait seulement de l'après-midi sur la plage, d'avoir ressenti une douleur insoutenable, une frayeur pétrifiante la poussant loin de la réalité, d'avoir entendu une voix rassurante, qui l'avait guidé loin de ses cauchemars et dans des bras réconfortants. « C'est normal », assure-t-elle. « Devant ce danger immédiat, son esprit en développement cherche se protéger. » Ce qu'elle ne leur dit pas toutefois, c'est que s'il n'avait pas réussi, la petite aurait eu des traumatismes psychologiques irrémédiables. Elle n'osait pas citer les pires... Comment cet enfant a-t-il su qu'avant toute chose il devait la faire revenir parmi eux ? Comment a-t-il réussi cet exploit ? Et surtout, d'où tirait-il ce sang-froid miraculeux ? Cela l'inquiétait. Il se souvenait de tout, des moindres détails. Il put même lui rapporter les paroles exactes de ces instants, l'enchaînement des évènements... Il a usé d'un sang-froid qu'il ne possédait pas. C'est dangereux, leur dit-elle. Son traumatisme est plus important, il est toujours dans le déni de l'accident. Peu de temps après leur sortie de l'hôpital, il fut parcouru de tremblement violent, il ne pouvait s'empêcher de trembler de peur, refusait catégoriquement de monter dans une voiture, en faisait des cauchemars, hurlant la nuit et se réveillant en sueur. Sa sœur veillait sur lui comme il avait veillé sur elle. Immobilisée par son plâtre, elle dormait à ses côtés.

Il ne se quittait pas.

Elle était là pour calmer ses tremblements, éviter ses crises.

Des mois plus tard, elle put enfin marcher. Les blessures étaient entièrement cicatrisées. Toujours là, pourtant. Plus discrètes. Elles leur rappelaient ce qu'ils avaient évité. Et à cette même période, tout s'arrêta : les cauchemars, les tremblements, les crises... Tous les souvenirs, les détails concernant l'accident furent comme effacer de sa mémoire. Il oublia ce qu'il avait vécu. Il ne pouvait se souvenir de la fin de cette soirée, il pensait qu'il s'était simplement endormi...

Jusqu'à aujourd'hui.

Ils n'auraient jamais dû réapparaître.

C'était une erreur.

Une erreur fatale.

Car même si l'on veut oublier, un jour, ils reviennent nous hanter.

Le choc a été violent. La mort, douce.

L'autre véhicule s'en est mieux sortie. Les passagers sont vivants. Ils ont eu cette chance-là. Ils appellent immédiatement les secours. La voiture prend soudainement feu. Avant que le moteur n'explose, ils parvinrent à sortir tant bien que mal les corps de l'habitacle sur les conseils des urgentistes déjà en route.

Au fil des saisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant