Acte 1 - scène 8

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Seize jours plus tard...

Déjà...

Déjà le réveil sonne.

Déjà il faut que je me lève, que j'enfile un vêtement, que je parte jouer la comédie.

Vendredi a été terrible. Horrible. D'abord, j'ai fait face à ce démon souriant. Subir son sourire désobligeant, sa voix mielleuse m'assurant que tout se passerait bien, je n'en peux plus. Et cela ne fait qu'une semaine et des cacahuètes que je passe en sa compagnie. Elle prétend me connaître, comment le pourrait-elle ? La seule qui me connaissait a disparu, dommage. Maintenant, si je le veux, je peux duper mon monde. Des bobards, je peux en raconter. Ce n'est pas si compliqué. Alors, tu peux bien me regarder ainsi, madame-je-sais-tout, cela ne me fait rien. Son discours, il lui a fallu une séance, peut-être deux pour le finaliser. Elle croit vraiment qu'en quelques jeux de questions réponses elle peut en savoir assez sur moi ? Sait-elle seulement que je ne suis loyal qu'à Elle ? Que je ne lui dis pas tout ? Peut-être que non après tout... Elle pense que je suis un cas comme les autres, elle m'a dit : « Tu sais, c'est important que tu retournes au lycée. Tu as besoin de piliers, de raisons de vivre et pour l'instant, même si tout cela te paraît insignifiant, inutile, le lycée peut t'aider à te raccrocher, ne pas perdre pied, tu comprends ? J'aimerais que tu ne te laisses aller à tes émotions quand tu auras de solides cordes pour t'amarrer. Seulement, pour l'instant, tu ne peux voguer sans ancrage. Je ne te dis pas de tout refouler, au contraire mais s'il te plaît, ne le fait pas seul. Déverse ta colère, ta honte, ta tristesse auprès de tes proches, de personnes de confiance et de moi si tu le veux bien » etc etc.

Alors, seulement sous les suppliques de ma mère qui ne savait que faire pour m'aider, j'étais aller au lycée en ce vendredi matin.

Je n'aurais jamais dû.

J'aurais dû camper sur mes positions.

Les tenir.

Cependant, contre la détresse d'une mère, qui peut bien résister ?

La journée avait été longue. Très longue. Trop longue. Comment pouvais-je rester assis à perdre mon temps ? Je le vois maintenant, la futilité de toutes ces choses. Pourquoi perdre notre temps à nous bourrer le crâne d'informations inutiles ? Pour l'esprit critique ? Soit, si cela vous fait plaisir. Je n'ai pas besoin d'être bassiner huit heures par jour pour cela ! J'étais un prisonnier au bagne et je ne devais mon salut qu'à la religion faisant de dimanche un jour de repos et plus tard, le samedi aussi. Ces deux jours, passés dans le noir, seul, avait été plus bénéfique que n'importe quelle séance de psy ou que sais-je. C'est cela dont j'avais besoin : me perdre dans les souvenirs, hurler à la lune ma tristesse infinie, rester inanimé dans mon lit, mon esprit volant dans des contrées lointaines inatteignables. Mais voilà que lundi se pointait. Et avec lui, la dure réalité.

Ce cauchemar s'arrêtera-t-il un jour ?

Je dois aller où déjà ? Ils sont où mes camarades ? Merde, si seulement je n'avais pas autant traîné, je ne serais pas en train de chercher ma classe... Je n'ai guère envie de parler. Pas envie d'engager la discussion. Et c'est ce qui se passera si j'interroge la vie scolaire. Il n'en est pas question. Je prends mon téléphone et j'eus la présence d'esprit d'ouvrir Instagram. Qui m'emmerde aussitôt de bon matin ? Je me radoucis en remarquant qu'il s'agit d'Andréa.

Andreaa : Salle 202. Le prof a pas fait l'appel.

Je me dirige droit vers la salle. La porte est ouverte. Le prof est occupé, au fond de la salle, a discuté avec une élève. Je me faufile dans les rangs, croise le regard d'Andréa, baisse la tête pour la remerciée et m'installe à ma place. La place du paria. Deux minutes plus tard, je dessine son visage sur ma feuille. J'esquisse ses douces pommettes, son bras ballant, ses cheveux de jais, comme si elle se tenait à côté de moi en cet instant présent, dans ce cours barbant. J'imagine ce que fait Marin. Le connaissant, il doit être en train de nager. Il n'a pas cours à cette heure-là et en profite toujours pour piquer une tête. Je l'imagine arrivant en cours, les cheveux encore trempés et les regards des filles s'attardant sur lui, il a toujours fait cet effet-là. Il se tait probablement, reste dans sa bulle, à l'abri. Peut-être est-il plongé dans ses pensées, pressé de retrouver sa belle endormie, loin de ce monde et pourtant, son cerveau enregistre la moindre information qui lui sera utile, il écrit d'une main distante... Oui, peut-être fait-il cela, s'ils étaient encore vivants...

Au fil des saisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant