Chapitre 1

82 11 24
                                    

Tous les mois depuis bientôt deux ans – et aussi quand j'ai un truc spécial à lui raconter –, je me rends sur la tombe de Louis. J'ai vingt-et-un ans et je connais mieux le gardien du cimetière que mes camarades de promo. Il est gentil, il fait toujours attention que rien ne soit volé sur la tombe de Louis – ni les motos miniatures laissées par ses potes ni son casque.

—   Bonjour, Gary.

—   Ah, ma petite Louison !

Louis et Louison. Non ce n'est pas une blague. Nos mères sont meilleures amies et elles trouvaient ça marrant de nous donner des prénoms qui se ressemblent. Forcément, on est devenus meilleurs amis à notre tour. À vrai dire, on disait à tout le monde qu'on était cousins, parce que ça décrivait mieux notre relation.

Je remonte l'allée principale avant de prendre la troisième à droite. Un, deux, trois. Voilà la nouvelle maison de Louis – pas très chaleureuse si vous voulez mon avis. Ça manque de couleur.

J'attaque sans tarder mon petit rituel. Je sors les bonbons de mon sac : un paquet pour lui, un paquet pour moi. J'en balance un sur la plaque de marbre, au milieu des petites motos, puis ouvre le mien. Je fourre une Fraise Tagada dans ma bouche tandis que je m'assois face à la tombe. À côté du bouquet de fleurs en Lego, il y a une photo de nous. On sourit de toutes nos dents, comme deux idiots.

Ma poitrine se serre, je gobe une nouvelle Fraise Tagada pour ne pas me mettre à pleurer.

« Salut, Ducon. »

Je marque une pause, comme s'il allait me répondre. L'espoir fait vivre...

« Je vois que tu m'ignores. C'est pas grave, je peux parler pour deux, ça n'a pas changé, ça. »

Le truc de bien dans les cimetières, c'est que tu peux parler seul sans qu'on te regarde de travers. J'ai entendu plus de gens discuter dans le vide ici qu'à l'hôpital psy où j'ai fini pendant quelques semaines après la mort de Louis.

« Bon, le mois prochain c'est ton anniversaire, et celui de ta mort aussi. C'était quand même super con de mourir à vingt-et-un ans, mais alors mourir le jour de ton anniversaire, si tu voulais qu'il soit mémorable, tu t'es pas loupé. »

Nouvelle Fraise Tagada dans la bouche.

Tout le monde raconte que le temps apaise les blessures, mais personnellement, j'ai toujours autant l'impression qu'il me manque un membre. Quand on m'a annoncé que Louis était décédé, c'est une partie de moi qui est morte aussi. Je sais, ça fait cliché, mais je ne vois pas trop comment décrire autrement ce que je ressens. J'ai même entendu une meuf en cours à la fac avec moi, qui nous connaissait du lycée, dire que j'en faisais des caisses.

J'espère qu'elle ne connaîtra jamais un deuil aussi brutal. Louis, c'était mon meilleur ami, mon cousin, my partner in crime. Nos mères nous disaient qu'on était comme cul et chemise.

Je ne me rappelle pas un seul moment où il n'était pas à mes côtés. Même quand il s'est mis à la moto, qu'il s'est fait toute une bande de potes motards, il ne m'a pas laissée de côté le temps que je passe, moi aussi, mon permis. Il m'a traînée dans un magasin spécialisé et m'a fait acheter tout l'équipement nécessaire pour être une bonne passagère du haut de mes 18 ans.

« J'allais te demander ce que tu voulais faire pour ton anniversaire, mais t'es un peu coincé six pieds sous terre. Bref, je pense que je viendrai bouffer des bonbons et boire un coup en ton honneur avec Noah et Romy s'ils sont dispos, puis j'irai voir Tata avec ma mère. »

J'ai beau à peu près tout raconter à Louis, je me suis bien abstenue de lui dire que je n'avais presque plus de contact avec ses potes. De temps en temps, ils m'envoient un message pour prendre de mes nouvelles, je ne leur réponds pas toujours. Je me suis éloignée de tout ce qui touche à la moto, de près ou de loin. Mon casque sera pour toujours caché au fin fond d'un placard, le reste de mon équipement est rangé dans une boite quelque part dans le garage de mes parents et j'ai vendu ma Ninja. Et surtout, je n'ai jamais ramené mon dossier pour passer le permis A. Je lui avais promis de passer la formation après mes deux ans obligatoires de permis A2, l'année de mes vingt ans. Moi aussi, je voulais conduire une grosse cylindrée comme eux,

Noah sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant