Chapitre 11

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Ce week-end, j'ai accepté d'accompagner ma mère et ma tante Émilie pour une balade en bord de mer. Ne me demandez pas, c'est leur kiff depuis toujours. C'est bien un truc de daronne...

Une fois par mois, elles se font leur petite virée à la plage. Déjà, il faut être un peu bizarre pour aimer avoir du sable entre les orteils. Perso, j'attends juste le moment où on se posera à la guingette pour manger une gaufre au nutella et boire un capuccino bien chaud.

En vrai, je râle, mais j'adore passer du temps avec ma tante et ma mère. Ma relation avec ma mère est parfois un peu bancale (et je m'en veux), mais je l'adore. On était super proches avant la mort de Louis, alors j'ai décidé de faire des efforts pour retrouver notre complicité. Avec tata Émilie, aussi.

Règle numéro 1 quand on se voit : ne pas parler des choses qui fâchent. De toute manière quand ma mère et sa meilleure amie sont ensemble, elles sont pires que des gamines. Elles gloussent et rigolent de rien. Parfois, je ne parle pas, je les écoute juste plaisanter et même si ça me fait un pincement au cœur, parce que j'étais pareille avec Louis – et les autres –, ça me met du baume au cœur. C'est beaucoup trop doux.

—   Roh la la, je suis allée voir Barbie, commence ma tante, même en Ken, Ryan Gosling est trop beau.

—   Ugh, on lâche en même temps avec ma mère.

—   Quoi ? Vous n'êtes pas sérieuses ? On parle de Ryan Gosling, quand même !

—   Ryan Gosling, qui est beaucoup trop jeune pour toi, tata. C'est gênant.

—   Beaucoup trop jeune, n'exagère pas. Pfff, il n'y a plus de respect.

Je rigole de bon cœur, d'autant plus quand je pense à tonton Arnaud qui ne ressemble pas du tout à Ryan Gosling (même de nuit et de dos)

—   Écoute, il ne te reste plus qu'à déguiser tonton en Ken. Je suis sûre que maman t'aidera avec plaisir, je plaisante.

Le sable est froid sous mes pieds tandis qu'on longe la mer. Le soleil me réchauffe la peau et le rire de ma tante et de ma mère, couplé au son des vagues, m'apaise. J'ai envie de m'assoir et de contempler l'horizon pendant des heures – pour une fois, pas avec tristesse.

Ma mère doit le sentir. (Encore un truc de daronne.)

—   Et si on s'asseyait un peu ? J'ai apporté un thermos de thé.

Ma mère, c'est Mary Poppins mixée à MacGyver. Tu ouvres son sac à main, tu trouves tout ce dont t'as besoin pour survivre dans la nature. Après, elle se plaint qu'il pèse trois tonnes. 

—   Et toi, alors, ma chérie, un Ken en vue ? À ton âge, tu dois avoir le choix. Surtout jolie comme tu es.

J'émets un petit rire qui ressemble au couinement d'un cochon. Le style Ken ou même Ryan Gosling, très peu pour moi. Je préfère... Je ne sais plus vraiment quel genre de mecs m'attire, mais pas lui. Je n'aime pas son sourire, et le sourire c'est la chose que je remarque le plus chez quelqu'un... Surtout quand ils ne sont pas parfaits.

—   Rien depuis Nassim... On va dire que j'ai eu la tête à autre chose.

—   Rien de rien ? insiste ma tante. Pas un seul Ken en vue à la fac ?

Ma mère a le bon goût de ne pas ajouter son grain de sel.

—    Non, rien à l'horizon.

Pourtant, ça fait plusieurs jours que je repense au SMS de Lola. Je ne sais pas si elle a raison, si sortir avec quelqu'un me ferait du bien. Ou au moins un plan cul. Mes médocs m'ont enlevé une bonne partie de ma libido (dans mon monde, on doit choisir entre l'envie de se jeter d'un pont et l'envie de s'envoyer en l'air), mais pas tout. On va dire que jusqu'à présent, je me suffisais à moi-même.

—   Louison, tu ne peux pas passer ta vie seule.

Je suis piquée au vif.

—   Je ne suis pas seule, j'ai Lola et j'... J'ai Lola.

—   À moins que tu aies quelque chose à nous dire, je ne crois pas que Lola et toi soyez en couple.

Je me renfrogne.

—   Ce n'est pas une finalité d'être avec quelqu'un, tata.

—   Oui, mais c'est beau. Avoir quelqu'un a ses côtés, c'est un soutien que beaucoup sous-estiment.

—   Jusqu'à ce qu'on finisse par perdre cette personne..., je ne peux m'empêcher de lâcher, ce qui fait aussitôt retomber l'ambiance. Pardon, je... C'est pas ce que je voulais dire.

—   Au contraire, rebondit ma mère. Je crois que c'est tout à fait ce que tu voulais dire, et tu n'as pas à te retenir de nous confier des choses comme ça.

Je sens la boule dans ma gorge grossir et mes yeux se mettre à piquer. J'ai foutu la règle numéro 1 en l'air. Je ramène mes genoux contre ma poitrine, prête à me renfermer sur moi-même. Je sens alors immédiatement ma mère et ma tante m'entourer de leur bras.

—   Hé, Louison, on veut juste que tu ailles mieux. On aimerait que tu nous laisses prendre un peu plus soin de toi, me rassure Émilie.

—   Mais... Mais, c'est pas juste pour toi, je renifle.

—   Pourquoi ? Parce que j'ai perdu mon fils ?

Je hoche la tête. Ma tante me prend par les épaules et me force à la regarder. Elle jette un coup d'œil à ma mère par-dessus mon épaule.

—   Écoute, ma puce, oui, j'ai perdu mon fils. Oui, la douleur est toujours présente, il me manque, comme un enfant manque à sa mère parce qu'il n'y a rien de naturel à enterrer ton bébé, énonce-t-elle dignement. Mais je suis adulte et je ne suis pas seule. Je suis entourée. Entourée par mon mari, par ma meilleure amie, par un bon psy. Je ne dis pas que c'est simple, mais j'ai les épaules pour. Toi, en revanche, tu as perdu brutalement quelqu'un alors que tu n'avais que 19 ans. À cet âge-là, le cerveau n'a pas fini de se former...

Les larmes coulent d'elles-mêmes. Deux ans que ma tante doit attendre d'avoir cette conversation, qu'elle doit la répéter avec ma mère chaque fois qu'elles se téléphonent ou qu'elles se voient.

—   J'ai eu si peur quand tu as été hospitalisée. Ça me fait mal de te voir dans cet état depuis deux ans. Tu mérites de vivre une vie remplie de joie. Tu t'es coupée du monde. Tu repousses tes amis alors qu'ils ne demandent qu'à être là pour toi. Tu sais, ta mère m'a dit que Romy et Noah étaient venus chez toi et que tu leur as dit d'aller se faire voir. Pourtant, ils prennent régulièrement de tes nouvelles.

—   Pard...

—   Non ! Non, je ne veux pas t'entendre t'excuser. Je ne te dis pas ça pour que tu culpabilises. Je ne te dis pas ça parce que Louis, lui n'a plus cette chance, mais parce qu'il n'aurait pas aimé être un fardeau pour toi. Tu as le droit au bonheur, ma grande. Tu peux aller mieux sans que ça signifie oublier Louis.

C'est au tour de ma tante de pleurer. Ses larmes coulent à la commissure de ses lèvres, où malgré tout, un petit sourire s'est installé. Je me penche vers elle et elle me serre contre sa poitrine. Ma mère se joint à elle, je suis prise en sandwich. On pleure toutes les trois à chaudes larmes quand soudain, je sens un poids s'ôter de mes épaules et ma poitrine s'alléger.

Noah sous les étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant