Chapitre 13

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Musique: uncover-Zara Larsson.

C'est le vide et à la fois la tempête dans mon crâne... Ma respiration est saccadée, laborieuse. Mon coeur bat la chamade, il galope dans ma poitrine, peut-être parce qu'il a compris que c'était sa dernière danse.

Quand j'étais petite, ma mère me répétait sans cesse que c'est l'amour qui nous donne la force de reconstruire. Mais quand il n'y a plus d'amour: il n'y a plus de lumière, plus despoir, plus aucune matière pour reconstruire quelque chose.

Et ça fait quatre ans que je n'ai pas vu sa couleur...

Mes gestes sont mécaniques. Je passe devant les classes, les toilettes où j'ai tant de fois pleuré, puis les casiers. Je ne prends que quelques secondes pour sortir du lycée.

Quand j'étais petite, mon père me promettait les étoiles comme ce que fait un père normal. Il me répétait qu'il était fier de moi et qu'il me secourirait toujours. Mais aujourd'hui, c'est de lui même qu'il devrait me protéger.

Parce que ça fait quatre ans qu'il m'utilise comme un objet...

Mon pas est rapide, pressé. Je n'en peux plus... Je me mets à courir, rongée par mes pensées. Je sais exactement où je vais, je me dirige au pas de course vers le pont qui traverse la ville. Quand je sauterai, tout sarrêtera. Enfin.

Le soulagement m'envahira une dernière fois avant que l'euthanasie ne m'engloutisse.

Je serai libre. Le poids du monde ne reposera plus sur mes épaules, je ne serai plus obligé de retenir mes larmes et la souffrance ne sera plus qu'un lointain souvenir.

Mes larmes brouillent ma vue si bien que je fonce dans plusieurs personnes. Je ne prends pas la peine de m'excuser, il n'y a que mon objectif dans mon esprit.

Tout mon corps jusqu'à mon âme se met à trembler quand j'arrive vers le pont qui traverse la ville.

J'arrête de courir et me mets plutôt à marcher le long du trottoir. Je regarde autour de moi les yeux grand ouverts, parce que c'est la dernière fois que je vais pouvoir regarder le monde. Avant le néant.

Des voitures passent sur la route, aucune personne ne marche sur le trottoir du pont. Je suis la seule. Le vent fouette mon visage tandis que je m'arrête à mi-chemin.

Je passe la tête par-dessus le muret et regarde le fleuve. C'est haut. Très haut. Quand je sauterai par-dessus ce muret, je m'écraserai après quelques secondes de vol. Mon corps explosera au contact de l'eau bétonné et mon âme s'envolera pour partir je ne sais où.

Le grand saut... On en a tous un à effectuer dans notre vie. Certaines personnes sautent une grande étape de leur vie: mariage, reconversion, voyage... Moi, c'est le saut pour passer de l'autre côté. Du côté de la mort.

Je suis née pour mourir. Je remonte la manche de mon haut et frôle le tatouage de mon bras. Born to die. J'étais destiné à mourir.

J'essuie, de mes mains tremblantes, mes joues inondées de larmes. Il ne faut pas que je tarde. Il ne faut pas que je réfléchisse...

Je regarde une dernière fois autour de moi avant de passer à l'acte. Le monde paraît si paisible vu de l'extérieur... Quelle ironie.

Maman ne serait pas contente si elle me voyait. Elle n'aurait pas voulu que je finisse ainsi. Elle n'aurait pas souhaité que je subisse toutes ces choses.

*-Athéna...Chérie*

La voix de mon père me revient et j'aperçois un court instant ses yeux verts. Je revois encore tous ces moments où je me suis senti comme une moins que rien, où je me sentais sali, déshumanisé. On m'a enlevé de force mon insouciance, ma joie, mon amour pour ce monde. Je ne pourrais jamais le lui pardonner.

Je sors Maman et Papa de mes pensées et pose mes mains déjà glacées sur le muret. Des hoquets sortent de ma gorge. J'ai peur. Bien sûr, c'est normal: je ne sais pas ce qui m'attend. Mais je ne peux pas rester dans ce monde. Il n'y a plus d'espoir pour moi...

* *CLAC* La ceinture sabat sur mon dos et entaille un peu plus ma chair*

Je passe une jambe sur le petit mur. J'ai l'impression que je vais m'effondrer d'une minute à l'autre tellement mes tremblements sont puissants.

*-Tu commences sérieusement à m'énerver Athéna, dit-t-il calmement tandis qu'il presse ses mains contre mes bras.

Ma gorge se noue. Son calme m'effraie encore plus que sa colère. Parce qu'après le calme, il y a toujours la tempête... Je l'ai appris à mes dépends.*

Je passe ma deuxième jambe et regarde en contrebas. L'air me manque subitement. C'est si haut...

Je sens la panique monter en moi. Elle s'engouffre dans chacune de mes cellules et réveille en moi le peu d'instinct de survie qu'il me reste. Malheureusement, ma tristesse et mon désespoir ont toujours dépassé toutes les autres émotions. Dont l'amour...

Noam.

Déjà petite je l'aimais. Et puis, il y a eu la mort de ma mère et les attouchements de mon père. Mon monde s'est effondré et mon amour pour les humains avec. Noam n'a pas fait exception. Mes sentiments pour lui se sont envolés dans une fumée macabre. Mais l'autre jour, il est revenu. Il m'a parlé, il m'a promis des choses...

Mais mon père m'avait aussi fait des promesses et aujourd'hui, voilà où j'en suis par sa faute. Prête à sauter de ce pont. Pour mourir.

Je chasse toutes mes pensées parasites et me redresse sur le mur. J'entends des voitures freiner brusquement, des gens sortir de leurs véhicules. De lointains cris viennent jusqu'à moi. Mais je ne suis déjà plus là.

Et puis il y a le décompte.

Je ferme mes paupières et j'inspire une grande bouffée d'air.

Va te faire foutre papa.

5,

4,

3,

2,

1...

...et le saut.

Born to die before your nameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant