Chapitre 22

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Athéna:

J’ouvre péniblement mes paupières lourdes. Mes yeux se posent sur les murs tout blanc et les nombreuses perfusions qui sont insérées dans mon bras et ma main. Le cliquetis des machines résonne dans la pièce telle une musique macabre. L’air empeste la Bétadine et une douleur aiguë se fait ressentir dans tous mes membres.
Bref, je hais cet endroit tout comme mon père. Et dire que ça fait déjà une semaine que je suis là, scotché sur ce lit.
Je ne réalise toujours pas que mon propre père m’a renversé. Je suis quand même sa propre fille… Même s’il était déjà horrible avec moi, je me sens trahi. Doublement trahi. Voulait-il me tuer ? Ma respiration ainsi que le cliquetis de mon électrocardiogramme s’accélèrent. La peur trace un chemin jusqu’à mon esprit malgré mon contrôle. Une infirmière passe la porte de ma chambre, mettant cours à mes pensées parasites.
-Bonjour, Athéna ! Comment vas-tu ?
-Bien et vous ?
-Ça va, répondit-elle joyeusement.
Elle fronce les sourcils à la vue de l’électrocardiogramme mais ne relève pas l’information. Elle fait l’inspection générale, échangeant avec moi des banalités.
-Le docteur Garand a accepté votre sortie pour 16h. Votre père viendra vous chercher.
Ma gorge se serre devant son sourire. Elle ne sait pas. Elle ne comprend pas. Elle ne voit pas que ce n’est pas une bonne nouvelle, que c’est lui qui a voulu m'ôter la vie. Une pulsion meurtrière la traversé. Une pulsion contre sa  fille, celle qu’il a créé, mis au monde… Ce n’est pas dans la nature de faire une telle chose, ce n’est pas inscrit dans les lois de la vie. C’est contre toute empathie, toute logique.
Je me sens démuni, vide de sentiment et en même temps noyée de celle-ci. Je suis dans une totale incompréhension, j’ai peur, je suis en colère… et je suis dévasté. Dégoûté de ce que cet homme a voulu me faire.
A mes yeux, il n’est plus mon père.
J’hoche la tête, impassible. Elle fronce une nouvelle fois ses sourcils et murmure:
-Vous n’avez pas l’air très heureuse, je comprends que vous soyez encore chamboulée mais… 
Je la coupe dans son élan en posant ma main sur son bras.
-Tout va bien, j’ai compris beaucoup de choses. Tout va aller pour le mieux, maintenant.
Je vais porter plainte, c’est décidé. Je ne veux plus le laisser faire, je ne peux tout simplement pas, c’est au-dessus de mes forces. Ça peut paraître bizarre puisque j’ai tenté de me suicider, mais j’ai vraiment eu peur. Mon instinct de survie a pris le dessus, et il me criait de m’enfuir.
Je veux la justice maintenant, pour tout ce qu’il m’a fait subir. Pour avoir pourri mon adolescence, ruiner mes rêves.
-Dites, est-ce qu’un certain Noam Miller est là ?
-Oui, il vient chaque jour depuis votre hospitalisation.
Elle remet en place ma jambe pour que je sois mieux installé puis elle conclut:
-Je vais le chercher.
Elle me fait un clin d'œil et sort de la pièce tout sourire. Je me mets à angoisser. Notre dernière interaction n’a pas été des meilleures. Mais… je ne lui en veux pas. Parce que par sa faute, j’ai failli perdre la vie mais j’ai aussi eu le déclic.
L’infirmière passe la tête par l’embrasure de la porte et pousse Noam dans la pièce. J’essuie mes mains moites sur la couverture tandis qu’il s’approche de moi. Ses traits sont tirés, de grosses cernes apparaissent en dessous de ses yeux apeurés.
-Salut.
Ma voix emplit la pièce. Il répond par un pincement de lèvres, je suppose qu’il s’en veut.
-Athéna, écoutes je…
-Noam, attends, moi aussi il faut que…
-Non. me coupe-t-il. J’y tiens.
J’hoche la tête pour lui demander de continuer. Il a besoin de s’exprimer, c’est normal.
-J’ai été idiot, égoiste, con et maladroit. Tu as été super gentille avec moi et tout ce que j’ai fait après ça été de te repousser parce que j’ai eu peur.
-Peur de quoi ?
Je ne comprends pas.
-Peur que tu vois mes faiblesses, ma vulnérabilité. Je ne veux pas te parler de mes problèmes, tu en as déjà assez je ne vais pas t’en rajouter.
-C’était vraiment pour ça ?
Il hoche la tête, honteux. Je ne pensais pas que c’était la raison, il m’en aurait parlé j’aurais compris. Au début, je ne supportais pas l’idée que quelqu'un sache pour mes viols. C’était au-dessus de mes forces. Parce que la pitié des gens ne résout rien. Pour moi aussi montrer mes faiblesses est dur.
-Je comprends.
Ses yeux se relèvent vers moi, abasourdis. Il me scrute pour comprendre, alors je reprends:
-Tu as été maladroit mais c’est OK de ne pas vouloir parler de quelque chose à quelqu’un. C’est OK de ne pas vouloir montrer ses faiblesses. Même si j’avoue qu’après tout ce que je t’ai dévoilé ça me fait un peu mal que tu n'aies pas assez confiance pour m’en parler.
-Ce que je t’ai forcé à dévoiler plutôt, rectifie-t-il, amusé.
Je lève les yeux au ciel. Ce n'est pas faux. Il me sourit, reconnaissant de ma compréhension et conclut:
-Je t’en parlerais quand je serais prêt, c'est promis.
Mais je sais qu’il ment. Je le vois dans ses yeux. Cet éclat de tristesse le trahit…
-Sinon, comment vas-tu ?
Il se rapproche du lit et s'assit dessus, tout en gardant ses yeux rivés sur les miens.
-Mieux.
Il continue, les traits soudain plus inquiets:
-C’est ton père pas vrai ?

*-Monte dans la voiture, bordel. s’écrit-t-il.
La peur s’insinue dans mon esprit, bousculant tout sur son passage. Je me dépêche de monter dans la voiture, apeuré. Je boucle ma ceinture et me presse contre la portière pour mettre le plus de distance possible entre lui et moi… *

*Je me mets à courir, courir. Mais la voiture me rattrape. J’entends les pneus crisser puis la voiture me heurter.*

-Qui voudrais-tu que ce soit d’autre ? ricanais-je amèrement.
Il détourne la tête et pousse plusieurs jurons. Il se relève du lit et se met à faire les cents pas devant mon lit.
-Mais ce gars est complètement taré ma parole ! Il doit avoir un problème psychologique c’est pas possib…
-Noam.
Il se stoppe immédiatement et m’observe attentivement, attendant la suite.
-Je vais porter plainte, c’est décidé.
-C’est vrai ?
J’hoche la tête, émue. Oui c’est un accomplissement. C’est peut-être pas grand chose pour certains, mais pour moi c’est un pas de géant vers l’avant. C’est dur de prendre une telle décision de son propre gré. C’est dur de vouloir ouvrir son intimité aux autres et de montrer à quels points on est démunie.
C’est dur mais je sais que je ne suis pas seule. Même s’il a commis une erreur, je sais que je peux compter sur Noam et sa famille.
-Je suis fière de toi, Divine.
Il se rassoit sur le lit et passe tendrement son pouce sur ma joue. Je le laisse faire, une chaleur montant dans mon ventre.
-J’aurai besoin de toi.
-Je suis là. Pour toujours.
Mais là encore, je vois qu’il ment, toujours ce même éclat de tristesse au fond des yeux.

Born to die before your nameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant