Chapitre 18

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Tout s'enchaîne sous mes yeux… Elya s’assoit à côté de moi, souriante. Carmen revient de la cuisine les mains chargées de plats. A ma droite se tient un Noam crispé. Nous nous jetons un regard apeuré que prend sa mère pour de la complicité puisqu’elle se met à sourire. Tout le monde est désormais assis à table. On me sert un morceau de viande avec des dés de butternut et de patate douce.
Tout est trop rapide, j’ai l’impression de voir ma vie se dérouler sous mes yeux sans que je ne puisse poser la main dessus, sans que j’ai un tant soit peu de contrôle. Je regrette presque d’être venue ici, mentir n’est pas une partie de plaisir pour moi. Mais le souvenir de ces derniers jours me revient subitement en mémoire…
Finalement mieux vaut être ici et mentir sur ma relation avec Noam plutôt que de rester une nuit de plus avec mon père. Je secoue mes mains sous la table pour chasser les tremblements qui m’envahissent soudain.
Je le déteste…
-Comment vous vous êtes rencontrer ?demande de sa petite voix Elya, coupant court à mes pensées.
Je lance un regard rempli de questions à Noam. Qu’est-ce qu’on peut bien répondre ? Qu’est-ce qu’il faut dire et ne pas dire ? Il me rend un sourire crispé et pose sa main sur ma cuisse pour jouer à la perfection son rôle. Tout mon corps se tend, je ne suis pas du tout à l’aise. Je revois un court instant les mains de mon père posées de chaque côté de mes cuisses, de mes bras. Je vois sa ceinture lacérer mon dos et entailler ma chair, son poing s’écraser contre ma tempe…

C’est Noam, ce n’est pas ton père. Tout va bien… Noam est gentil, ça va aller.
Papa aussi était gentil avant le décès de maman…
Tais toi !

Je me retourne vers Elya et répond, pas très sereine:
-La première fois que je l’ai vu, on était appelé dans la même classe. On rentrait au collège.
Je m’efforce de sourire et d’avoir l’air heureuse. Je repense une seconde à cette période de ma vie et je n’ai pas besoin de jouer la comédie. C’était sincèrement une des meilleures années de mon existence. Un vrai sourire apparait sur mon visage avant que je ne continue:
-Mais nous ne nous sommes réellement parlé que lors d’un cours. Il était en retard et il n’y avait plus de place donc il est venu à côté de moi.
Elya nous observe les yeux remplis d’étoiles. Ça me fait presque mal de lui faire ça. Je suis en train de mentir à cette petite fille remplie d’espoir, de lumière et de vie. Elle avale un bout de patate avant de s’écrier toute excitée:
-Tu sais Noam me parlait de toi bien avant que vous ne vous rencontriez ! Il m'a dit que tu étais…
-Elya je crois que c’est pas le moment là. s’exclame Noam les joues rosit.
Je me retourne vers lui les yeux écarquillés, cherchant désespérément son regard. Mais celui-ci m'évite royalement.
-Bah quoi c’est ta copine on s’en fiche !
Leur père pouffe de rire et explique à sa fille dans un chuchotement:
-Ma chérie, laisse leur leur intimité. Et garde pour toi les secrets de Noam si tu veux qu’il continue à tout te dire.
-Je confirme, continue Noam.
La petite fait la moue mais acquiesce tout de même. Nous reprenons notre repas, le silence refaisant surface. Soudain, Noam rapproche sa tête de la mienne et chuchote près de mon oreille:
-Désolé pour ce qu’a dit Elya.
Un frisson m’emporte tandis que de nombreux papillons viennent se débattre dans mon ventre. Je secoue imperceptiblement la tête. Ce n’est rien…
Il a juste bien joué son rôle, pas vrai ?
Il s’éloigne lentement de moi, ses yeux dévorant mon cou. Je reste immobile, pétrifié. La tension dans l’air est palpable.
Son père se racle la gorge et engage, gêné:
-Et…hum… et toi depuis quand l'aimes-tu ?
Oh mon dieu… Je déteste l’interrogatoire que sa famille me passe. D’autant plus que depuis le début du repas, Carmen m’épie du regard, analysant chacun de mes gestes. Se doute-t-elle de quelque chose ? Ou est-elle juste très protectrice envers son fils ? Ou alors elle ne m’aime pas ?
Je chasse la tempête qui fait rage dans mon esprit et plaque un sourire radieux sur mon visage. Je replace une mèche de cheveux rebelle derrière mon oreille et répond d’une voix que je rends mielleuse:
-Et bien, en réalité, depuis la 6e. C’était inexplicable… je l’ai vu et hum…
-Comme dans les Disney quand ils se regardent et qu’ils tombent fou amoureux ?
-Oui voilà, je rigole.
Elya sourit de plus belle, visiblement sous le charme de mes réponses. Je n'ai pas menti. Cette réponse était sincère…
-C’était un peu comme un coup de foudre.
-Pas qu’un peu, murmure Noam.
Nos yeux se rencontrent, ils s’accrochent entre eux. Je plonge dans ces yeux noirs et me demande un instant ce qu’il veut bien dire par là… Est-ce qu’il essaie de me faire comprendre qu’il m’aimait aussi ? Ou est-il simplement un très bon menteur ? J’aimerai bien que ce soit la première option…
Ne retombe pas amoureuse, Athéna…
Tais toi, bordel…
Je prends une grande inspiration, totalement déstabilisée. C’est lui qui détourne le regard en premier, ses yeux ébènes se posent sur ma mèche rebelle. Il la prend entre ses doigts et la repose délicatement derrière mon oreille, le plus naturel possible. Ma poitrine se soulève d’un coup. Je détourne alors la tête.
Calme toi bon sang !

Le reste du repas se déroule calmement. J’évite bien souvent le regard de plus en plus intense de Noam. Je n’ai plus la force de le soutenir, plus après les pensées qui m’ont traversé… Les discussions tournent maintenant autour de la journée d’Elya, de Carmen et de Bruce. J’écoute d’une oreille distraite les paroles des gens autour de moi. Je suis trop concentré sur la main de Noam, toujours posée sur ma cuisse. A aucun moment il n’appuie trop fort, à aucun moment il ne remonte trop haut. Elle est là mais elle ne bouge pas. De tant à autre, il me demande si ça va, si je préfère qu’il l’enlève. Autrement dit, il me respecte. Ce que mon père n’a pas su faire ces quatre dernières années…

***
Je mets les assiettes dans le lave-vaisselle, histoire d’aider un minimum les parents de mon “copain”. Carmen me regarde toujours avec ce regard méfiant que je n’arrive pas à décrypter. Bruce, lui, a l’air de bien m’aimer.
Une fois que j’ai fini d’aider, Noam et moi disons bonne nuit à tout le monde. Il me prévient alors qu’il va prendre sa douche tandis que tout le monde pars dans sa chambre. Je décide de moi aussi monter à l’étage, ne voulant pas rester en tête à tête avec sa mère. 
Alors que je m’écarte après l’avoir salué, elle m’attrape par le bras et m’attire à elle dans un mouvement brusque. Alors sans que je ne l’ai vu venir, elle m’enlace tendrement et pose son menton sur ma tête. Mes muscles se crispent immédiatement mais se détendent peu à peu en sentant ce sentiment familier monter en moi. Le sentiment d’être aimé et réconforté par une mère.
Parce que seule une mère devine, comprend et lit tout simplement en toi.
Je me laisse aller contre elle, sentant que mes barrières se brisent peu à peu.
Je ne sais pas combien de minutes passent mais elle ne me lâche pas une seule seconde. Plusieurs larmes dévalent maintenant mes joues. Elle ne soulève pas cette faiblesse, bien au contraire, elle me laisse me libérer. Tout en caressant mes cheveux, elle me balance d’avant en arrière comme si j’étais une enfant.
-Maman… gémissais-je entre deux sanglots.
-Ça va aller, je te le promets, Athéna. chuchote-t-elle avant de déposer un baiser sur mon front.
-Ma maman me manque…
Ma voix se brise sur ces mots. Un hoquet m'envahit, c’est si douloureux…
-Je sais.
Elle resserre notre étreinte lorsque je m’accroche plus fermement à elle comme une fille le ferait en pleine tempête avec une bouée.

Born to die before your nameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant