Chapitre 25

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J’attends. Et pas seulement depuis quelques minutes.
Noam tient fermement ma main tremblante. Je sais ce qu’il pense: que je suis forte et que je vais y arriver. Il doit croire qu’on va me rendre justice. J’admire son optimisme mais la vérité est que je ne suis pas forte. Je suis vulnérable, démuni, à la merci de mon agresseur. Je n’ai rien contre lui, aucune preuve. Je ne peux même pas montrer les bleus entre mes cuisses parce qu’on mettra ça sur le dos de mon accident.
La vérité c’est que j’ai surtout terriblement peur. Peur qu’on ne me croit pas, qu’on me juge ou pire qu’on ne prenne pas mon parti.
-Hé.
Noam serre un peu plus fort ma main et plonge ses yeux rassurants dans les miens. Je secoue la tête, les larmes aux yeux. En les voyant percer le coin de mes yeux, son visage se rembrunit. Il m’attire à lui et m’enlace tendrement. Je fourre alors ma tête dans son cou, désespérée.
-On va y arriver. Tu n’es pas seule.
Je souris contre sa peau à l’odeur réconfortante et murmure un petit d’accord. Je me surprends plusieurs fois à inspirer de grandes bouffées de son odeur. Reprends toi, Athéna !
Il s’écarte un peu de moi pour sonder mon visage, puis dépose un baiser sur mes cheveux. Alors qu’il me lâche doucement, la porte d’en face s’ouvre à la volée. Une policière à l’imposante carrure en sort. Elle me fixe un instant avant de pincer les lèvres et de me faire signe de rentrer dans son bureau. Une sueur froide roule dans mon dos. Je serre une dernière fois la main chaude de Noam pour me donner du courage puis suit difficilement la femme, essayant lamentablement de faire tourner les roues de mon fauteuil roulant.
Je pénètre dans ce simple bureau où les murs semblent se refermer sur moi. Un parfum de santal embaume l’air, apaisant quelque peu la peur qui gonfle à chaque inspiration dans ma poitrine. La policière m’invite à me positionner devant le bureau, ce que je fais, puis elle prend un calepin et entame l’échange de sa voix dure et confiante:
-Madame Smith, c’est bien ça ?
-Oui. dis-je dans un murmure.
-Vous venez porter plainte.
Ça ressemble plus à une affirmation qu’à une question mais j’hoche tout de même la tête.
-Dites moi tout. Contre qui, pourquoi, je vous poserai ensuite des questions.
J’avale difficilement ma salive, pas encore prête. Je pense à Noam derrière la porte qui doit se faire un sang d’encre. Je prends alors mon courage -le peu que j’aie- à deux mains, pour lui, pour le rendre fier.
-Je… je porte plainte contre… heum.

C’est le dernier instant pour faire demi tour…
Tais toi, bordel. Je vais porter plainte. Je vais le faire !

La femme m’observe s’en ciller à travers les mèches blondes qui lui tombent devant les yeux. Je prends une grande inspiration, humecte mes lèvres et murmure la voix cassé:
-Contre mon père.
Elle hausse les sourcils, visiblement surprise. Elle pousse un soupir blasé et demande:
-Votre père est un P.D.G. C'est bien ça ?
-Oui.

Elle ne va pas te croire

Elle m’invite à en dire plus alors je continue, plus aussi certaine de mon histoire:
-Il m’a violée. Plusieurs fois.
Le rouge me monte aux joues, j’ai honte. Je suis si sale.
-Depuis le décès de ma mère. Ça a commencé par quelques attouchements puis c’est devenu beaucoup plus gros. C’est lui qui m’a enlevé ma virginité.
Un instant, son masque de pierre tombe et j'entrevoit le choc sur ses traits. Ça ne dure que quelques secondes avant qu’elle ne remette sa carapace. L’air de rien, elle ferme son calepin et demande:
-Vous avez dit non ?
Mais qu’est-ce qu’elle croit au juste ?
-Evidemment. C’est mon père.
Elle hoche fébrilement la tête. Je m’apprête alors à continuer mais elle m’interrompt et réplique d’une voix plus douce, comme si elle expliquait quelque chose à un enfant de trois ans:
-Je suis désolé mais l’enquête ne va pas être ouverte. Personne ne va vous croire, votre père est connu et aimé. Il apporte beaucoup à notre état. Vous n’avez d’autant plus pas de preuve à mon avis, n’est-ce pas ?
Je secoue la tête, le cœur au bord des lèvres.
-Ça ne servirait à rien d’en ouvrir une pour qu’elle soit classée sans suite en seulement deux semaines.
Une larme roule sur ma joue et vient tomber sur ce bureau glacé.

C’était sur… Pourquoi y ai-je cru ? Je suis si naïve…

-Au revoir.
Je pousse précipitamment mon fauteuil jusqu'à la porte que j'ouvre à la volée puis sort de cette maudite pièce, le visage baigné de larmes, le cœur émietté dans ma poitrine. Noam se relève de son siège en me voyant passer devant lui. Son visage se referme instantanément à ma vue. Il se précipite vers moi et m’attire contre lui, les yeux humides.
-Je suis si désolé, Divine.
Je retiens difficilement le hoquet qui me secoue et le serre un peu plus fort de mes bras tremblants. Il dépose de nombreux baisers sur mon front avant de m'entraîner vers la voiture de sa mère. Carmen est installée sur le siège conducteur, la tête plongée dans un magazine people. Elle la relève vers moi en entendant le bruit à l’extérieur de l’habitacle. Ses traits se tirent, lui donnant quelques années de plus, ce qui me rend coupable.

Je l’inquiète trop… alors que je ne suis pas légitime. Elle ne devrait pas faire tout ça pour moi, je ne mérite pas tout son amour…

Elle court jusqu’à moi et m'enveloppe de ses bras.
-Athéna, ma puce…
Elle essuie mes larmes de son pouce et m'assoie après un long câlin sur la banquette arrière. Noam me rejoint et prend délicatement ma main. Il la serre durant tout le trajet, où je ne fais que passer et repasser les mots de la policière.
Personne ne va te croire…”

Born to die before your nameOù les histoires vivent. Découvrez maintenant