Chapitre 26

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Pdv Martin, samedi 26 octobre 2021

Le rire cristallin de Mélusine retentit à travers la clarière. Elle se tenait accrochée à une branche, ses pieds à un mètre du sol, et se balançait en riant.

- Dis, tu pourrais m'aider ! m'exclamais-je.

- J'arrive !

Elle lâcha l'arbre et atterrit sur le sol avec souplesse. Elle me rejoignit et, prenant garde de ne pas me toucher, récupéra les branches d'arbre que je tenais dans mes bras. Je grimpai à l'arbre et elle me les fit passer.

Depuis quelques semaines, nous travaillions à la construction d'une cabane dans un arbre, et nous pensions finir aujourd'hui. Ainsi, lorsque l'hiver arriverait, nous pourrions nous y abriter sans craindre la pluie.

Elle était située dans une clarière, assez loin de Silvia pour ne pas qu'elle ne me voit, et des sentiers pour ne pas que Mélusine ne soit sans-cesse préocupée par la potentielle arrivée de qui que ce soit. Une rivière traversait la clarière, et le feuillage des arbres laissait passer un peu de soleil.

Lorsque nous eûmes enfin terminé, nous nous assîmes dans la cabane. Comme toujours, Mélusine se tenait à une petite distance de moi.

Soudain, j'entendis des voix. Mélusine sursauta.

- C'est beau, non, cette clarière ? fit un homme.

Une voix de femme répondit:

- Magnifique.

Il y eut ensuite des cris de petits enfants:

- Touché !

- Même pas vrai !

- Si, je t'ai effleuré !

- Effleuré c'est pas touché ! Oh, c'est quoi, ça, là haut ?

Je compris qu'ils avaient vu la cabane. Je me levai pour dire bonjour, mais Mélusine gémit. Elle était recroquevillée sur elle même, les larmes aux yeux.

Je fis un petit pas vers elle.

- Ils ne vont rien te faire. Aie confiance en moi.

Mélusine ne bougea pas. Je me levai, m'approchai du bord de la cabane et saluai les gens:

- Bonjour !

- Bonjour, fit la femme.

- C'est toi qui a construit ça ? me demanda l'enfant.

- Oui, répondis-je. Mais...

Je me tournai vers Mélusine. Elle avait relevé la tête vers moi et me regardait désormais avec une sorte de curiosité.

-Mais j'ai été aidé par mon amie, terminais-je.

- Est-ce qu'on peut monter voir ? demanda le plus grand des deux enfants. L'autre, timide, s'accrochait aux jambes de sa mère.

Je me tournai vers Mélusine et lui lançai un regard interrogateur et rassurant. Elle hésita durant quelques secondes avant de hocher la tête.

- Bien sur, dis-je aux deux enfants. Venez !

Le plus vieux grimpa le long de la branche, aidé par sa mère, tandis que l'autre se cachait derrière son père.

-Viens, n'aie pas peur.

- Vas-y, Jules.

Avec l'aide de son père, le deuxième grimpa dans la cabane. Mélusine regardait les deux frères, une expression indéchiffrable sur le visage.

- Comment vous vous appelez ? demanda le premier.

Mélusine sembla surprise par l'utilisation du pronom "vous". Je crois qu'elle ne pensait pas que l'on pourrait lui parler comme si elle était une jeune fille normale, à mon égal.

- Martin, répondis je. Et elle, c'est Mélusine.

Cette dernière émit un petit signe timide de la main.

- Cooool ! Moi, c'est Tom, s'exclama le premier. Et ce gros boulet, là bas, s'appelle Jules, dit-il en désignant son jeune frère du doigt alors qu'il était assis par terre, observant de petites fourmis.

- Suis pas un boulet, grommela-t-il.

Tom se révéla être un garçon très bavard. Il se mit à raconter sa vie de petit garçon. Ne sachant trop quoi faire, je l'écoutais. Mélusine, elle, s'approcha timidement du plus jeune.

- Tu aimes les fourmis ? demanda-t-elle.

Je vis le petit garçon hocher la tête.

- Tu savais qu'elle peuvent porter jusqu'à dix fois leur propre poids ? Tu imagines, tu pourrais porter encore plus lourd que moi.

- Woah, murmura le petit garçon.

Ainsi, Mélusine se mit à parler avec l'enfant. Je l'enviais, moi qui m'obligeais à supporter des anecdotes au sujet des soixante amis différents de Tom durant plus de dix minutes. Par chance, les parents finirent par rappeler Tom et Jules.

Nous les aidâmes à redescendre et nous nous assîmes de nouveaux sur le sol de la cabane. Comme je ne savais pas trop quoi dire, et que je sentais que Mélusine n'allait pas très bien, je murmurai:

-Ils... Ils étaient gentils, non ?

Mélusine ouvrit la bouche pour la refermer aussitôt. Elle plia ses genoux, enroula bras autour, enfouit sa tête dans ses mains et éclata en sanglots.

Mélusine, la fille au début sèche, puis joviale, pleurait devant moi sans que je ne comprenne pourquoi, et encore moins que je ne sache quoi faire...

Je me rapprochais d'elle et posais doucement ma main sur son bras. Je trouvais ce contact plutôt agréable, mais Mélusine sursauta et releva la tête vers moi.

- S'il te plaît, ne me touche pas.

Sans comprendre, je la lâchai et m'excusai piètrement avant de demander:

- Qu'est-ce qui ne va pas ?

- Je me déteste... Je... Rraaaah !

Mélusine poussa un cris de rage et frappa violemment le sol de la cabane, qui trembla sous le choc.

-Mèl', calme toi et expli...

- Je la déteste... me coupa-t-elle en un murmure. Elle m'a menti... Je le savais déjà, mais j'en ai eu la preuve...Vous n'êtes pas méchants, ni rien de tout ce qu'elle... Comment ai-je pu...

- Elle ne savait pas. Elle t'as décrit ce qu'elle pensait... Elle a vécu des années seule. Elle t'a trouvée abandonnée, cela n'a fait que l'accentuer. Les gens que vous sauvez sont forcément hostiles envers vous... Ce que je veux dire, c'est que tous les contacts qu'elle a vers l'extérieur sont négatifs... Mais grâce à tout ce que je te montre, tu pourras peut-être faire changer les choses...

Mélusine ne dit rien. Je continuai d'une voix douce :

- Tu sais, elle ne t'a pas complètement menti... Parfois, les gens, dehors, ne sont pas... Certaines personnes sont affreuses, ne pensent qu'à elles. Silvia a seulement dû avoir affaire à ce genre de gens, et...

-Emmène moi dans ton monde.

-Quoi ?

- S'il te plaît. Je veux le voir de mes propres yeux.

- Mais...

- Mais ça va me faire de la peine, oui. Mais je vais désobéir à Silvia, oui. Je le sais, mais je veux tout de même savoir ce qu'il y a, dehors.

La forêt des mémoires effacées. Tome 1: MélusineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant