Chapitre 14

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Ils lui résistaient. Les chiffres lui résistaient.

Il n'y avait sur sa feuille que des calculs qu'il connaissait et qu'il avait l'habitude de résoudre sans se prendre la tête – simplement, si l'on pouvait dire la chose ainsi. Stiles avait toujours eu l'esprit mathématique, mais il fallait croire que celui-ci s'était mis en berne pour l'instant. Pourtant, il réfléchissait. Il réfléchissait vraiment, faisait appel à ses souvenirs, à son sens de la logique... Si bien qu'il dut se rabattre sur son cours, dans l'espoir de s'aider un peu. Même là, ce fut en vain. Sa main restait immobile, le stylo entre les doigts, à côté de sa feuille. Il n'arrivait pas à écrire, à apposer sur le papier ses idées potentielles... Qui n'avaient même pas de forme. C'était là le plus frustrant : penser, mais pas suffisamment pour que quelque chose de concret en sorte. Stiles était bloqué...

.... Parce qu'il n'arrivait pas à se concentrer.

Il savait fort bien que son inconscient empêchait sa conscience de travailler. Comment ? En ruminant les milles et uns derniers évènements. Il y avait la douleur, aussi, cette... Fulgurance qui provenait de sa jambe, de son tibia. Ses côtes le faisaient également souffrir. Pas assez fort pour qu'il soit incapable de le cacher, mais elle le titillait assez pour l'empêcher de penser complètement. Car sans être là, Théo traînait dans un coin de sa tête et Stiles surveillait le moindre de ses propres faits et gestes par peur de représailles. Il savait que la chimère ne se trouvait pas au lycée, qu'elle était soit chez lui, soit dehors. Mais cet enfoiré avait réussi à lui implanter cette crainte toute particulière et quasiment viscérale. Stiles ne pouvait s'en détacher : il en était incapable. Conditionné en peu de temps, programmé à obéir... Parce qu'une vie était en jeu et pour Stiles, il s'agissait de la plus précieuse de toutes.

Ainsi, ses réflexions intérieures se firent plus présentes, plus poussées, au point de prendre de la place de façon consciente. Bien vite, son crâne se retrouva envahi par des pensées parasites, ces immondices troubles qui continuaient de le faire se balancer entre espoir et désespoir. Résigné, il l'était déjà malgré tout car l'ombre lui paraissait bien plus plausible et importante que la lumière, en termes de finalité. Parce que Derek ne lui avait plus rien envoyé qui aurait pu lui laisser penser qu'il avait... Compris ses intentions, celles dissimulées à l'intérieur de ces messages qui lui avaient valu des coups supplémentaires.

Autant dire que Stiles ne savait pas vraiment comment il était censé interpréter ce silence des plus... Habituels, finalement. Derek ne lui parlait quasiment jamais et c'était à peine s'il lui accordait un regard lorsqu'il ne l'embêtait pas. Cela signifiait donc qu'il lui faudrait l'enquiquiner pour être certain d'attirer son attention. Mais pour cela, il lui faudrait aller le voir, ou bien... Organiser une nouvelle réunion. Faire le pitre, le déranger. Et Stiles n'avait pas la force de ne serait-ce que tenter la chose. Rester au lycée, même en se faisant tout petit, c'était épuisant, alors... Tenir un rôle supplémentaire ne serait-ce que pour essayer d'obtenir une aide qui ne lui était absolument pas garantie ? Car oui, qui pourrait lui certifier que Derek lui porterait secours, s'il arrivait à lui faire comprendre qu'il était dans la merde ? Derek... Il ne comptait pas pour lui, ou alors si peu que l'aider n'aurait même pas l'air d'être l'ombre d'un réflexe. Il l'appelait quand il avait besoin de quelque chose, des recherches à lui faire faire... Et c'était tout.

Mais peut-être que pour l'intégrité de la meute, l'ancien alpha se salirait les mains. Et même si l'intention n'était pas forcément celle que Stiles recherchait, cela fonctionnerait. S'il apprenait pour Théo, s'il se rendait compte de ce qu'il l'obligeait à faire, cette trahison discrète... Il agirait, pour le bien des autres. Stiles ne pensait même pas à ces autres horreurs qu'il subissait à longueur de journée, jusqu'au milieu de la nuit. Ces choses-là, il était persuadé que personne n'y accorderait la moindre importance, pour la simple et bonne raison qu'il faisait un parallèle entre le sort de son groupe, et le sien. Le commun, face à l'individuel. Dérisoire. Stiles se sentait dérisoire, empreint de si peu de valeur que certaines choses lui paraissaient acceptables, alors qu'elles ne l'étaient pas.

La sonnerie annonçant la fin du cours de mathématiques le laissa dubitatif, tant et si bien qu'il mit un peu de temps à comprendre ce qu'elle signifiait. Puis il vit ses camarades ranger leurs affaires, se lever les uns après les autres en discutant joyeusement. La plupart détestaient la matière alors chaque fois que retentissait ce son facilement identifiable, les élèves en question le voyaient comme une libération.

Stiles s'attela à marcher vers sa prochaine salle de cours sans boiter. Bien sûr, faire l'inverse serait plus facile parce que c'était une fois qu'il se mouvait que sa jambe lui faisait le plus mal. Mais la douleur, il commençait à avoir l'habitude. La cacher était en train de devenir une seconde nature... Quoiqu'il était persuadé que personne ne le remarquerait, s'il se laissait aller. Pourquoi ? Parce qu'il s'effaçait et que ça fonctionnait. La meute ne faisait plus vraiment attention à lui, de toute façon. Sans doute s'était-on dit qu'il avait besoin d'espace en ce moment. Puis peut-être aussi qu'on l'avait longtemps trouvé agaçant et que son comportement en arrangeait plus d'un. Stiles ne saurait le dire, mais la chose lui paraissait atrocement vraisemblable...

... Même si dans le fond, il avait tort.

Une main se posa sur son épaule alors qu'il marchait. Le geste ne fut pas brusque et d'ailleurs, la personne en question s'était annoncée la seconde d'avant, mais Stiles ne l'avait pas entendue. Les parois de sa bulle explosèrent et il sursauta. La peur l'envahit, le toucher lui fit mal. Il se stoppa, le souffle coupé, n'osa tourner la tête. Son corps réagissait avant son esprit.

- Hey, Stiles, c'est moi...


Cette voix, il la connaissait – et ce n'était pas celle de Théo. Heureusement ? Malheureusement ? Stiles n'avait aucune idée de ce qu'il était censé ressentir par rapport à ce fait. Mieux valait-il que ce soit lui, ou quelqu'un d'autre ? Lorsqu'il daigna enfin tourner la tête, l'hyperactif ravala au mieux cette terreur qui le transcendait, qui avait déjà transformé une partie de sa personnalité. Le Stiles que l'on connaissait n'existait plus vraiment, il avait laissé la place à quelqu'un d'autre.

- Oh merde pardon Isaac, je... J'étais dans la lune, tu m'as fait peur.

Broder une réponse à l'aide de la vérité pour ne pas se faire emmerder. Voilà le réflexe qu'il avait eu pour désamorcer rapidement la situation. Il savait que Théo n'aimerait pas qu'on s'inquiète pour lui. Il n'avait pas besoin que l'on s'occupe du sort de son outil tant que celui-ci n'avait pas accompli dans son entièreté la mission qu'il lui avait confiée. Alors, Stiles agissait dans cette optique – en espérant que ça marche.

Autrement, il n'était pas certain de supporter ce qui pourrait arriver.

- J'ai vu ça, fit le loup en fronçant les sourcils.

Pitié, ne doute pas. Crois-moi. D'un autre côté, Stiles s'attela à museler la partie visible de cette peur qui le rongeait de l'intérieur. Mais le contact de la main d'Isaac sur son épaule le dérangeait dans cette entreprise, si bien qu'il se dégagea l'air de rien. Bien sûr qu'il savait que son ami ne lui voulait aucun mal et qu'il n'avait pas les mêmes intentions que Théo... Néanmoins, qu'y pouvait-il si son corps réagissait de la sorte à son toucher ? Il était tout aussi traumatisé que son âme, alors... Stiles faisait ce qu'il pouvait.

- Stiles, tu vas bien ? Lui demanda Isaac, l'air préoccupé.

« Oui » sonnerait comme un mensonge. « Non » me foutrait dans la merde. L'hyperactif réfléchit à tout allure, força son visage à se décrisper, se persuada qu'il était encore capable de sourire. Les commissures de ses lèvres se relevèrent un peu. Il lui fallait agir dans l'urgence, se montrer le plus convaincant possible.

- Pourquoi ça n'irait pas ?

Stiles partait du principe qu'il était impossible de déceler un mensonge dans une réponse sous forme de question... Qui détournait légèrement le sens de la conversation.

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