Chapitre 15

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Isaac n'avait jamais vu un sourire aussi peu naturel que l'était celui de Stiles. En plus d'être crispé, il ne montait pas jusqu'à ses yeux... Qui, eux, brillaient d'une lueur terrible. La peur qu'ils dégageaient tout autant que son odeur était si forte et en même temps si contrôlée que le loup-garou ne pouvait l'ignorer. A vrai dire, c'était l'émotion qu'il recherchait pour donner du crédit à ses suppositions, mais il ne pensait pas... Que les choses seraient aussi simples.

- Je sais pas, tu es... Depuis quelques jours, t'es pas comme d'habitude, avoua-t-il rapidement d'un air penaud.

Disons qu'Isaac ne savait pas vraiment mentir et qu'il n'en avait de toute façon pas envie. Puis il connaissait Stiles, qui était du genre à apprécier la franchise, à la valoriser. Peut-être qu'ainsi, il lui parlerait plus facilement ?

Sauf qu'Isaac n'avait aucune idée du temps que l'hyperactif avait attendu. La fourchette pouvait ne pas paraître si grande, mais aux yeux de l'humain... Elle l'était.

Pour lui, il était trop tard.

- La fatigue, le moral... Ce sont des choses qui fluctuent, Isaac. Tout le monde connaît ça, même toi, répondit Stiles en haussant les épaules d'un air presque parfaitement normal.

Il était bon. Il était bon parce qu'il répondait sans répondre. Semblait éviter les mots qui pouvaient le trahir sans se douter du fait que ses émotions durement contrôlées le trahissaient. Comment pourrait-il savoir qu'elles commençaient carrément à imprégner son odeur en tant qu'état ? Surtout la peur. Le processus était lent mais se faisait malgré tout – et Isaac le ressentait sans vraiment le comprendre pour le moment.

- Il y a des moments où ça va, d'autres ou ça va moins. En ce moment, je ne dors pas assez et je suis dans une période un peu creuse, explicita Stiles.

Rien d'anormal, aurait-il voulu rajouter. Sauf qu'il savait que son cœur aurait moufté et, par extension, tout de suite alerté Isaac sur son mensonge étonnamment bien ficelé. Ça ne va pas et je ne dors pas. Il décida alors d'en rajouter une couche et de se dédouaner de façon partielle. L'inquiétude lui serra les entrailles mais il s'efforça de la contrôler.

- J'en ai parlé à Derek, il ne te l'a pas dit ?

Finalement, plus que se dédouaner, Stiles avait besoin de... D'essayer de savoir si son message avait été compris. Il entretenait malgré lui cet espoir un peu stupide sans savoir vraiment ce qu'il en attendait.

Isaac afficha une mine sincèrement confuse.

- Non, finit-il par lâcher.

Stiles ne savait pas comment il était censé réagir mais la douleur qui le prit fut si grande qu'il eut bien du mal à ne pas vaciller. Quelque chose en lui se brisa – comme si ce n'était pas déjà le cas de presque tout son être.

J'ai... J'ai vraiment espéré ? La réponse était oui et pourtant, Stiles savait que c'était stupide. Ses messages étaient trop... Encodés pour que l'on puisse les comprendre du premier coup et en même temps, il n'avait pas eu d'autre choix que les écrire de cette façon. Mais le fait est que s'ils avaient inquiété Derek, celui-ci aurait inévitablement parlé à Isaac. Stiles les savait proches et la relation quasiment fraternelle que les deux loups entretenaient n'était un secret pour personne. C'est trop tard de toute façon, se dit-il pour se « consoler ». Au final, même si Derek avait compris, la machine était lancée. Voilà ce dont il devait se convaincre pour ne pas s'effondrer là, maintenant.

- Eh ben... En tout cas tu pourras lui demander, répondit-il malgré tout d'un air crispé qu'il ne put retenir.

- D'accord, mais... Depuis quand tu parles à Derek ? Lui demanda son ami.

Disons qu'il connaissait les deux énergumènes et si depuis quelques mois, ils commençaient à savoir se tenir en présence de l'autre et moins se chercher des noises, il ne voyait pas le premier se confier au second sur une hypothétique fatigue ou quoi que ce soit de ce genre.

Cette fois-ci, Stiles se détendit légèrement.

- Depuis qu'il a été pris du même élan d'humanité que toi.

Mais ses mots étaient amers. Amers parce que Stiles se trouvait particulièrement stupide d'avoir cru que tenter de lui transmettre un message au travers de ses textos allait changer quelque chose. Il aurait dû y aller cash... Ce qui aurait très probablement coûté la vie de son père et brisé la sienne, par extension. Quoique de son côté, il n'y avait plus grand-chose à sauver. Cette réflexion avait une telle puissance et une telle signification pour lui qu'il ressentit soudain l'envie d'être seul. Cette compagnie, cet intérêt... C'était avant, qu'il les lui fallait. Là, il risquait plus de se trahir qu'autre chose et il n'avait pas la moindre envie que Théo l'apprenne. Encore moins qu'il soit là pour le voir. Stiles savait qu'il rôdait dans le coin pour le surveiller. Il épiait tous ses faits et gestes et cette pression était suffisamment difficile à supporter comme cela pour qu'il accepte d'en subir une seconde, toute aussi puissante...

Le problème, c'est qu'une entité supérieure avait l'air d'être contre lui puisqu'Isaac ne le lâcha plus de la journée. Les seuls moments où Stiles avait de la chance de se retrouver seul, c'était lorsqu'il allait aux toilettes ou boire un coup. Ils allaient en cours et en sortaient ensemble, côte à côte. Stiles dut redoubler d'efforts et de violence pour maintenir cette comédie qui lui cisaillait l'âme. Il en vint même à se laisser prendre au jeu – il n'avait pas le choix. Il en oublia volontairement son quotidien morbide, adapta sa façon de faire au moment présent.

Il joua tout simplement le rôle non pas de celui qui retenait ses souffrances mais bien d'un jeune homme sans problèmes apparents qui passait une journée au lycée avec son ami. Et cette façon de voir les choses l'aida à ne pas craquer sur le moment.

Mais pas à chasser les doutes d'Isaac à son sujet.

Stiles ne les imagina pas. A vrai dire, il interpréta la proximité de son ami comme une espèce de moyen de faire davantage connaissance avec lui : ils se côtoyaient tous les jours sans pour autant passer tant de temps que cela ensemble. Puis Isaac avait tendance à rester avec Liam et parfois Jackson tandis que Stiles valsait entre Lydia et Scott. Malia se rajoutait à eux de temps en temps même s'il était clair que la solitude était ce qui lui seyait le mieux. Elle en était encore au stade où elle avait besoin de se comprendre et d'apprendre à se connaître humainement parlant.

Et si Stiles fit de son mieux pour ne pas être une piètre compagnie, il ne put toutefois écarter de son âme la sombre vérité qui se rappelait subrepticement à lui à chacun de ses pas. Il avait mal, et pas seulement parce qu'il servait de punching ball ou de poupée à une chimère obligée de retenir sa force et ses assauts pour ne pas le tuer par erreur. Il avait mal au corps et au cœur.

Mais avait-ce vraiment de l'importance si l'on considérait les enjeux qui l'obligeaient à se murer dans le silence ?

Stiles n'y pensa pas – le contraire le précipiterait dans la situation qu'il cherchait à tout prix à éviter. Alors il s'efforça de sourire de temps à autres, de répondre à Isaac lorsque celui-ci lui parlait, de converser, de combler les blancs. A la fin de la journée, il suivit tout naturellement son ami en direction du parking. La chose ne lui parut pas étrange étant donné qu'il devait de toute façon s'y rendre pour récupérer sa Jeep et retrouver ce qui relevait à la fois du soulagement et de la tension. D'un paradis relatif et d'un enfer avéré. Sa maison, sa chambre. Ainsi, il en finirait avec cette comédie stupide. Mais il la ferait durer le temps qu'il faudrait : le temps qu'il quitte le champ de vision de son ami.

Sauf qu'Isaac tourna la tête et fit un signe de la main en souriant. Stiles, curieux malgré ses lourdes pensées, suivit la direction de son regard.

Il espéra alors sincèrement qu'aucun loup-garou n'avait la capacité de percevoir les frissons... Car celui qui venait de traverser l'intégralité de son corps était si fort qu'il en eut le souffle court.

Il pria intérieurement de toutes ses forces pour que son masque tienne encore un peu... Qu'il ne se soit pas complètement effondré face au regard particulier de Derek.

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