CHAPITRE I

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Les crépitements ne cessent de murmurer à mon oreille, puis, j'ai la sensation que le temps s'est arrêté. Mon regard est à la dérive, je ne me pose même pas de question. Pas de pourquoi ni de comment. C'est pourtant le chaos autour de moi mais rien ne vient, comme si j'avais rejoint les autres.

Soudain, un cri étouffé s'échappe de mes lèvres. Mes larmes s'entassent dans ma gorge tandis qu'une douleur sanglante m'empêche de faire le moindre mouvement. Je meurs d'envie de crier mais rien ne sort. Je suis là, aplatie sous les décombres à hurler de douleur sans entendre le moindre son. Mon cœur palpite de plus en plus lorsque mes mains se joignent à la naissance de ma douleur.

Je manque de hurler, mon cœur manque un battement. C'est liquide et ça me fait mal. La paume de ma main qui était souillée par la noirceur grisâtre des débris prend une couleur rougeâtre au contacte de mon genoux. Une chose qui fait partie de moi, que je connais bien car c'est mon sang.

Encore une fois, mes larmes tentent de m'assassiner. Je souffle à vive allure alors que tout mon corps tremble au même rythme des battements irréguliers de mon cœur ainsi que de ma respiration saccadée. J'aimerai tant fermer mes paupières en cet instant et pouvoir les ouvrir dans un endroit plus paisible où ma joue n'est pas collé contre le bitume, où mon corps n'est pas abîmé par les débris, où cette douleur physique et mentale n'existeraient plus. C'est avec désespoir que j'observe mes mains ensanglantées. J'ai beau me mordre les lèvres, rien ne change. Je suis toujours là. La poussière, les miettes, les brisures de ces débris descendent lentement sur le sol comme une pluie d'étoiles.

J'ai peur de mourir.

J'ai peur. Oui j'ai peur. Bien plus qu'un vilain passage à l'oral en classe. Ici, je me sens complètement perdu.
J'observe chaque chose que je peux voir. Tout autour de moi. C'est le bazar. Tout est sens dessus dessous. J'ai l'impression que la mort va bientôt arriver, venir m'attraper et m'obliger à croupir dans sa tanière obscure. Soudain, une image de ma mère défile dans ma tête. J'ai envie de la prendre dans mes bras. Là, maintenant. Pour qu'enfin tout s'arrête et ne soit qu'un cauchemar.

Je me mord la lèvre désespérément et un souffle de rage sort d'entre mes lèvres. L'adrénaline prend possession de mon corps, mon envie de vivre aussi, mon envie que tout s'arrête et redevienne comme avant. Alors, je ne sais comment, mais mon bras droit lâche ma blessure et s'avance pour hisser mon corps hors des débris. Aussitôt, je hurle de douleur. Mon cœur cogne violemment ma poitrine et mon souffle s'accélère à tel point que mon corps tremble. Mon organe cesse tout mouvement, même mes poumons. Mes larmes ont cessé de couler. C'est comme si le monde s'était arrêté, que plus rien ne fonctionnait. Lentement, je regarde en arrière et c'est comme si une vague de soulagement naviguait dans tout mon être. Ma jambe est dégagée mais mon cœur se serre quand je vois tout ce sang, ces entailles, ces blessures qui me font si mal.

Je dois me faire une raison. Le monde n'est plus comme avant. Je pense soudainement au monde du dehors, derrière ces ruines qui m'empêchent d'apercevoir le réel. J'ai peur de vivre dans un chaos plus imposant que celui-ci. Et si le monde n'existait plus ?

Je secoue la tête. Je dois effacer ces vilaines pensées ou jamais je ne pourrai m'en sortir.

Je continue de hisser tout le poids de mon corps sans savoir où je vais. Je ne vois rien, seulement des morceaux de mon lycée brisé. J'ai l'impression de ne plus y être alors que si, j'y suis. Je suis enseveli sous le lycée. Celui qui m'a donné tant de stress, m'a redonné ma solitude, des angoisses animées d'une vive étincelle. Je reconnais ces carreaux, ce carrelage qui donnait un style hôpital que je n'aimais pas. Les portes sont brisées, cassées en deux comme celle de la C003.

Je continue de ramper, ma bouche s'essouffle de plus en plus. Je manque d'air, ma gorge s'assèche. J'ai froid, j'ai mal, j'ai peur. J'ai envie de me camoufler sous une couette et de ne plus sortir, de rester là et d'y mourir sans douleur, dans une atmosphère apaisante. Je ne peux pas. Non, pas maintenant. J'ai peur de ça, de ressentir la douleur de la mort. J'ai assez mal comme ça.

Alors que je désespère, que mon corps ainsi que mon âme se font de plus en plus lourds. Une lumière, bien que faible, clos mes yeux d'une seule seconde. Je souris amèrement.

C'est bientôt la fin. Bientôt la délivrance.

Je rampe, je glisse sur le bitume, me coupe la peau par moment mais l'espoir de revoir le dehors est plus fort que la douleur. Ma gorge me serre, mon rythme cardiaque s'accélère et mes lèvres tremblent. Je suis à seulement deux centimètres de ces décombres, la porte vers la sortie. Mes doigts abîmés, écorchés par le verre et les briques de béton, s'approchent doucement pour caresser la naissance de cette vive lumière. Mon sourire s'efface quand celle-ci disparaît subitement. Je secoue la tête, mon cœur s'arrête, j'arrête de respirer.

Je tends ma main vers ce trou désespérément. Tout ce que je touche, c'est le vide, les parois froides des décombres et l'air rafraîchi de l'extérieur. Je l'aurais senti si c'était le soleil, n'est-ce pas ?

J'ai envie de pleurer encore une fois. La détresse de mes mouvements étrangle mon cœur et broie mon ventre. Mon poing frappe le sol et un hurlement inaudible s'échappe.

Peut-être bien que je commence à désespérer.

Je me souviens d'avoir suivi le cours. Ou plutôt, non j'étais distraite car je dessinais sur mon cahier. Puis après, le noir complet. Il faisait jour à ce moment-là. Par contre, j'ignore combien de temps je suis restée inconsciente. Est-ce qu'il fait encore jour ? D'ailleurs, sommes-nous encore aujourd'hui ?

J'ignore tout. Je suis perdue. Complètement perdue.

Il me faut plusieurs minutes pour me ressaisir, cesser de pleurer et parvenir à me contrôler. Mon regard se balade un peu partout. Les décombres ne m'enterrent pas complètement. Je suis convaincue que je peux réussir à me redresser sur mes jambes. Probablement pas sur mes pieds, mais au moins me tenir accroupi.

Je commence à désespérer à nouveau.

Ça servira à quoi d'ailleurs ? Si je m'en sors, le monde sera peut-être pire que celui-ci. Je commence à divaguer je crois bien. Des souvenirs me reviennent en mémoire comme un tourbillon. Sans le contrôler, mon cœur fait des siennes à son tour. Il bat au même rythme que ces images. C'est la nostalgie qui m'envahit je crois. La peur que ce passé disparaisse ne se reproduise plus. Des bonheurs simples qui m'avaient l'air insignifiants me sont désormais chers à mon cœur et...ils ont probablement disparu. Le monde est probablement brisé. Mais dans mon esprit, j'espère qu'il n'y a que mon lycée qui est atteint. Que le reste du monde soit intact. C'est cette flamme qui m'anime.

Ai-je vraiment envie de croupir ici ?

Je ne sais pas comment ni pourquoi mais mon corps se redresse lentement. Des gémissements s'échappent. J'ai envie que ma mère me serre dans ses bras mais je suis seule dans ce combat. Cette image m'apaise autant qu'elle m'attriste. Sa douceur me manque.

Je saisis les morceaux du bâtiment et les soulève. Je hurle, j'y mets toute ma force quitte à déchirer mes membres, à ouvrir davantage mes blessures. Peu importe si je brise mes os : Je sortirai d'ici.

Alors que l'écart est assez grand je prends la brique la plus proche et la place en dessous. Mes muscles cessent de fonctionner, je retombe lourdement contre le bitume, essoufflée. De multiples picotements parcourent mes muscles. Un sourire d'une seconde apparaît alors que mes yeux me brûlent. Je vais pouvoir partir, être libre et me nourrir d'oxygène.

Je me hisse dans ce portail que j'ai créé, cette brèche. Je n'ai plus de force dans les bras, j'ai si mal et mes blessures n'arrangent rien. Je les sens se frotter contre le sol, aux multiples débris qui cisaillent mon corps de nouveau et accentuent les anciennes. Je grimace quelques fois mais la seule chose à laquelle je pense, c'est la sortie.

Gifler par l'air, je clos mes yeux et prends une grande inspiration. Des larmes s'échappent. Seulement, quand je les ouvre à nouveau, mon cœur cesse de fonctionner.

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