CHAPITRE II

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      Au contact de l'air, le souffle du vent frôle les parois de mon épiderme déchiré, caresse mon sang qui me quitte. J'ai la sensation que la brise s'infiltre dans tout mon corps, me remplit d'air comme un ballon. La différence, c'est que contrairement à cette bulle de plastique, je ne peux voler. En y pensant, je me dis que j’aurai aimé être ailleurs. Sous mes yeux : la destruction.

  En fin de compte, les décombres n'étaient rien de plus qu'un prologue. Le début du récit, c'est maintenant. Au milieu de ces bâtiments brisés, de ces ruines enflammées, de ces nuages gris, ces avions de chasse qui parcourent le ciel d'une façon si sinistre que j'en ai la boule au ventre. J'ignore comment tout à commencé mais je n'ai rien demandé pour subir tout ça.

  Mon corps me lâche, je tombe sur les décombres. Je ne sens plus mes membres, seulement mon cœur qui frappe violemment ma cage thoracique. J'ai beau me frapper la poitrine, il ne s'arrête pas. Au contraire, il m'étrangle davantage. Je me sens si petite et futile face à l'immensité du désespoir qui se dresse face à moi. C'est comme si j'étais une fourmi, incapable de me défendre. Je peux seulement courir et me cacher.

  Des sons différents bourdonnent dans mes oreilles, j'ai dû mal à toutes les distinguer. Cependant, il y en a un qui longe ma peau comme une vague glacée. Celui-ci, je ne les ai entendu que rarement. Il intervient tous les premiers mercredis du mois. C'était un test, ces sonneries répétées, sauf que là j'ai la certitude que c'est bien réel. Il n'y a qu'à voir ce monde. Cette ville que j'ai toujours connue. Je ne la reconnais plus. Tout est différent désormais et je crois bien qu'il va falloir que je me fasse une raison. Déjà que je ne savais pas me repérer avant parmi les rues, les ruelles. Là, tout est brisé. Les immeubles, évanoui. Tout comme les maisons. J'entends dans le creux de mes oreilles des cris, des coups d'armes à feu qui effraient les oiseaux et résonnent dans ma cage thoracique.

  Je n'ai pas envie de mourir, j'ai bien trop peur de la mort et de ce terrain obscur et sans réponse. Je n'ai qu'une option à ma disposition, celle qui me terrifie : Survivre.

  Je n'ai pas tellement le choix. Si je reste ici, je meurs. Et je ne peux pas me tuer non plus. J'en suis incapable. Dans ce combat, je suis seule. Alors, dans un souffle, je laisse mes paupières se fermer. Ce sera ma dernière seconde de paix. J'inspire longuement pour faire le vide dans ma tête. Plus rien n'existe désormais, il ne reste que moi. Il va falloir que je me fasse une idée. Je dois jouer les survivantes comme les protagonistes des jeux vidéos ou des films, même des romans. Je dois devenir Katniss Everdeen, en moins badasse évidemment. Apprendre à fabriquer des armes, me nourrir. La première chose que je dois faire c'est de trouver un abri. Il va falloir que je survive jusqu'ici. Autrefois, ça m'aurait plu. Mon esprit serait baigné dans l'excitation la plus totale. Maintenant que je suis dans la réalité, je ne pense plus pareil. C'est la peur qui envahit mes entrailles.

  Je prends le temps d'inspirer. Une énorme bouffée, quitte à exploser comme une bulle de savon. Puis, j'expire en ouvrant mes paupières. Je peux y aller maintenant. Il le faut. Sinon, je meurs.

  Je longe les décombres sans dessus-dessous, je recouvre de plus en plus l'ouïe. Je n'avais rien remarqué là-dessous. Devenir sourde le temps d'un instant, de quelques et plusieurs longues minutes. En me ressentant que par le physique ce qui m'entoure.

    Mon cœur loupe un battement au son du moteur et immédiatement je me faufile derrière des débris. Je cesse de respirer, complètement tétanisé par ces bottes sombres et pleines de sang qui marchent sur le bitume sans aucune once de pitié. Il a une démarche qui m'effraie. L'intuition me pousse à me dire qu'il s'agit bien d'un ennemi. Un envahisseur qui tue sans pitié. C'est probablement lui qui a détruit mon lycée.

  Je manque de hurler mais ma main s'abat sur ma bouche et l'étouffe immédiatement. Mon corps tout entier se met à trembler devant cette main solitaire ensanglantée. Je vois ses os, sa chair en lambeaux et ses muscles ensanglantés. Le reste doit être en dessous la terre et les débris. J'ai envie de vomir. Ça me répugne, ça me dégoûte. Mon imagination est débordante, j'imagine très bien son corps enseveli, comment ça s'est passé. Ce bracelet, je le reconnais. C’était à une fille de ma classe. Rien que d'imaginer son cauchemar, j'en ai la nausée.

    Elle a dû avoir si peur.

D'ailleurs, je ne me souviens même plus de ce qu'il s'est passé exactement avant mon réveil sous les décombres. C'est assez perturbant de réaliser que j'ai probablement perdu une partie de ma mémoire. Je viens de réaliser autre chose aussi. Je suis peut-être la seule survivante du lycée. Ils sont probablement tous morts, là-dessous.
Un rire parvient à mes oreilles. Je mord mes lèvres, me colle au bitume comme si je voulais le pénétrer. Comme si ça pouvait être un sable mouvant. Il a commencé à parler et sa voix est tout aussi terrifiante que son apparence. Je ne parviens pas à comprendre ce qu'il dit dans son talkie-walkie. Il vient d'un autre pays, ça, c'est certain. Seulement, je n'arrive pas à savoir où. C'est frustrant. Je me demande s'il m'a vu. Seulement, quand je vois ses pas s'éloigner, je suis rassurée. Je parviens enfin à respirer.
Je reste plusieurs longues minutes ici, même après avoir entendu le moteur démarrer puis s'éloigner. Le silence demeure, toujours le son de l'alerte qui résonne dans la ville et les avions qui rodent. Lorsque je me sens prête, je me décide à me lever. Je dois être vigilante. Si je me fais repérer, je meurs. Ça ne me réjouit pas. Je l'imagine bien ma mort et ça terrorise mon estomac. Au fond, je le sais bien, je ne suis pas prête à avancer. Seulement, la peur me murmure d'avancer.

     Je crois que je suis sortie de l'enceinte du lycée. Je reconnais la rue. Il y a encore des morceaux de trottoir que je parviens à distinguer.

     J'ai le cœur qui bondit à chaque seconde et toujours de plus en plus vite, au milieu de cette rue vide et détruite. Il y a des cendres éparpillées un peu partout. Le vent soupire et colle les perles grises sur ma peau, l'odeur de la cendre s'infiltre dans mes narines. À force de marcher, je commence à m'y habituer.

    Par moment, je me cache. J'ai l'impression de frôler sans cesse la crise cardiaque à force d'être sur mes gardes en permanence. Je dois être paranoïaque, car à chaque fois il n'y a personne. C'est seulement le fruit de mon imagination, de mes angoisses grandissantes qui bourdonnent en moi.

    Alors que j'arrive au bout d'une ruelle, des pleurs d'enfants me basculent à la réalité. Mes jambes fléchissent et les pulsations de mon cœur s'accélèrent

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