Chapitre 5 ~ Partie 1

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C'est comme si chacun de mes membres s'arrachaient lentement un à un, se recollant, se redétachant, inlassablement. Des tas d'images rocambolesques se superposent sous mes yeux, mêlant la forêt, les arbres, les animaux. Puis, ma vision s'éclaire. Nous n'avons pas bougé ?!

- Bienvenue à Oneiros, Mérida, susurre Siloé à mon oreille.

- Tu te fiches de moi ? On n'a même pas quitté notre position ! m'indigné-je.

Siloé éclate de rire, et en dépit que ce son soit le plus mélodieux que je n'ai jamais entendu, sa nonchalance me met en rogne.

- Mais non, me rassure-t-il en adoucissant la voix. Ici, la forêt et celle de ton monde sont presque les mêmes, en miroir si tu préfères. Tu auras le loisir de le constater plus tard, je crains que Cassien n'ait réussi à franchir le portail. Nous devrions prendre une longueur d'avance.

- Je pensais que tu l'avais fermé ?

- Oui, mais cela ne l'empêche pas de pouvoir le rouvrir. Disons que c'est pour qu'il perde un peu de temps. Bon. En avant !

Pour le moment, je ne risque pas d'être dépaysée. Mon nouvel ami enlace ma main dans la sienne et nous dirige donc droit devant. Malgré les ressemblances frappantes, les couleurs ici sont plus vives, plus éclatantes. L'air est davantage doux, les nuages blancs tâches çà et là le ciel bleu. Je remarque que les animaux sortent plus aisément de leur tanière, se dévoilant à ces terres. Un lièvre traverse d'une traite devant nous.
Nous marchons à pas de course, dans le calme. Je profite de cette ambiance si particulière où la paix est maîtresse. Normalement, à une heure pareille de fin d'après-midi, le grondement des voitures vrombirait. Pourtant ce n'est guère le cas, et honnêtement, ce n'est absolument pas dérangeant.
Siloé et moi approchons de la fin du sentier principal tandis qu'une pointe d'excitation m'envahit. Alors que nous dépassons les derniers tecks, j'aperçois au loin les hauts murs d'une forteresse. Ce doit sans doute être le château dont j'ai tant vu dans mes rêves... Et donc ces histoires sont véridiques. Toute ma vie j'ai grandi dans un monde ignare... Des questions m'assaillent de nouveau. Siloé me tire de mes rêveries :

- Avant que tu ne découvres le château, on va faire une halte à une taverne à proximité. Il ne devrait pas y avoir grand monde.

Effectivement, la taverne d'Oneiros se dresse à une centaine de mètres. Voyant mon stresse monter en flèche, mon compagnon de route m'attrape gentiment par les épaules :

- Soi simplement toi-même. Oh, et, au fait, sache que je suis sincèrement heureux que tu ai accepté de venir. Ta confiance me touche, petite Rebelle.

Ses paroles sont réconfortantes. Rougissante jusqu'aux oreilles, j'affiche un grand rictus. Il pousse la porte de la taverne, toutes les têtes se retournent vers nous, et les conversations se taisent. Siloé n'y prête attention et nous pousse vers un comptoir. Derrière, se trouve le barman, c'est un vieux rabougrit, la bedaine tendue, de petite taille avec plus que des cheveux bruns grisonnants sur les côtés de son crâne. Il arbore un visage sympathique et ouvert. Il nous accueille chaleureusement dans son antre en nous remplissant deux pintes de bières. J'en profite pour détailler le bar. Son mobilier est plutôt rustique, et la seule fenêtre présente est recouverte d'une large poussière qui n'a sans doute pas été lavée depuis des années. Le lieu est sombre malgré les nombreuses bougies, bientôt rendues à essoufflement, qui abritent un grand lustre.

- M'sieur Luches ! Z'avez ram'ner une demoiselle à c'que j'vois. Elle vient pas d'ici dites-moi ?

- Harolde, je te présente Mérida, une amie. Elle nous parvient d'une contrée lointaine. Aurais-tu un coin tranquille où nous pourrions converser à notre guise ?

- Ah, je vois ! s'esclaffe-t-il en nous lançant un clin d'œil complice. Vous pouvez z'aller à l'étage, il est fermé en c'moment mais je le rouvre ce soir.

- Je te remercie, Harolde, gratifie Siloé en lui donnant quelques pièces en bronze.

Nous franchissons l'étage supérieur, nos boissons à la main, sous les regards curieux des clients. Nous nous asseyons en face d'une table en bois, ayant visiblement bien vécue : elle est tâchée d'éclats. Je me jette sur ma choppe, assoiffée.

- Comment savait-il que je ne venais pas d'ici ? m'enquis-je intéressée en trempant mes lèvres dans le liquide.

- La population est faible, ici. Tout le monde se connait, sans exception. Les rumeurs à ton sujet vont bientôt circuler, tu es une personne très attendue à Oneiros. Attends-toi à ce que les habitants viennent vers toi te saluer ou t'offrir des offrandes.

- J'imagine que je suis aussi très prisée pour les djinns...

- Oui, mais ne t'inquiète pas, nous allons t'apprendre à te battre et à te défendre. En tout cas, tu auras le temps nécessaire pour t'acclimater à la vie ici.

Je bois une gorgée, perdue dans mes théories. La bière est plus goûtue ici, bien qu'amère.

- Ça va bien se passer Mérida. Je crois en toi.

Siloé s'est montré sans relâche encourageant et patient vis-à-vis de moi. C'est un homme bon j'en suis persuadée. Je suis heureuse qu'il existe réellement, il ne m'a jamais fait peur.
Quelqu'un nous rejoint au vu du planchet qui grince. Mr. Francisco semble à bout de souffle.

- Charles ! As-tu été suivi ? s'enquit Siloé qui se relève pour lui prêter main forte en le tenant par l'épaule.

- Fort heureusement, non. En revanche, j'ai le regret de vous annoncer que Cassien et Matthew sont de retour. C'était évident.

- Alors ils vont débarqués ici ?! sondé-je en haussant la voix, paniquée.

- Non. Les djinns et les ennemis sont censés posséder leur territoire, bien qu'ils ne respectent pas le traité. Néanmoins une armée veille en permanence sur le Royaume, ce qui les dissuade pour l'instant de tenter quoi que ce soit. Mais les alentours sont dangereux, y compris la forêt. Ce pourquoi Mérida, je te prierai d'être accompagnée pour toute sortie en dehors de nos murs. Bien. Et si nous partions ?

- Mais... vous disiez que seules les personnes d'Oneiros pouvait entrer et sortir du Royaume, comment expliquiez-vous que Cassien soit parvenu à y entrer ?

Charles et Siloé se regardent, étonnés par ma question perspicace.

- Malheureusement, c'est une question à laquelle nous n'avons aucune réponse. Partons.

Nous quittons donc la taverne et son ambiance chaleureuse. 

SiloméOù les histoires vivent. Découvrez maintenant