04. Six pieds sous terre

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Stratford, fin 2013.

Je n'ai jamais cru en Dieu.

— Pour notre Père, qui est aux cieux...

Je ne le déteste pas, mais je ne le comprends pas.

— Nous te rendons grâce, Seigneur...

On m'a toujours dit que Dieu était bon, grand, plein de sagesse et qu'il nous écoutait.

— Pour tous tes bienfaits...

Vraiment...?

— Ô Dieu tout puissant...

S'il était vraiment bon, pourquoi aurait-il laissé arriver toutes ces guerres ?

— Qui vit et règne dans les siècles des siècles...

S'il était vraiment plein de sagesse, pourquoi dirait-il ne prendre avec lui que les "bonnes personnes" au Paradis ? Pourquoi enverrait-il de mauvaises personnes en enfer ? Ne disait-il pas, pardonner tout le monde de leur péchés ?

— Nous te bénissons, Seigneur, dans la joie de ce repas partagé...

Je ferme les yeux, tentant quand bien mal de réciter ces paroles dans ma tête.

— Nous te remercions pour ce repas...

Si Dieu nous écoutait vraiment, pourquoi n'a-t-il jamais enlevé le vide qui se trouvait dans mon cœur ? Pourquoi n'a-t-il jamais répondu à mes questions ?

Je n'ai prié que peu de fois dans ma vie, je n'ai parlé à Dieu que peu de fois, j'ai supplié, ne serait-ce que pour obtenir quelques réponses sur ma propre existence. Je voulais qu'il me réponde. Pourquoi j'étais sur Terre ? Quelle était la raison de ma venue ?

Pourquoi suis-je moi ?

— Et puisse le monde trouver la paix en ton nom.

Un "Amen" retentit, et le silence devint roi.

Les bruits d'assiettes et de couverts étaient de plus en plus insupportables. Le ragoût qu'avait préparé ma mère était si dégoûtant que je voulais le lancer très loin pour ne plus jamais avoir à en manger.

Du coin de l'œil, je regarde mon frère. Il mangeait lentement, sans dire un mot. Je pense qu'il regrettait d'être venu ici. Depuis qu'il a fêté ses dix-huit ans l'année dernière, il venait de moins en moins souvent à la maison. Il préférait sûrement être chez ses amis que dans cette maison au climat malaisant. Je savais que ces prières quotidiennes avant de manger lui étaient insupportables. Il ne croyait pas non plus en Dieu, mais notre charmante mère nous obligeait à la réciter chaque jour, avant de manger.

Ma mère se disait chrétienne, fille de Dieu et prête à tout pour son Créateur, mais elle faisait l'inverse de ce que la Bible disait. 

Les humains n'évolueront jamais.

N'en disons pas plus de mon père. Aussi loin que mes souvenirs soient, il a toujours bu. Il se prenait lui aussi pour un chrétien, mais je me doutais bien qu'il allait lâcher son Seigneur dans peu de temps. Je sentais qu'il se forçait à prier pour quelqu'un dont il ne croyait même pas l'existence, mais il continuait de se donner cette image de fils de Dieu. Pour se donner une bonne réputation sûrement.

Pendant quelques minutes, le silence règne. Je tente tant bien que mal de manger cet horrible ragoût en avalant une gorgée à chaque bouchée.

STONEHEARTOù les histoires vivent. Découvrez maintenant