O5. Trois poissons

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Son regard était encore plus vide que la toile face à elle.
Le blanc profond en était presque hypnotisant, une absence de contenu, l'échappatoire de la réalité, un univers d'insistance mentale.

Elle y trouvait une certaine complaisance.

Jusqu'à ce que glisse doucement son pinceau de sa main, la faisant revenir à la réalité ; elle était face à son chevalet, et rien ne lui venait

Malgré des heures et des heures, elle n'était même pas parvenue à rendre une esquisse convenable. Son coup de crayon n'avait plus rien à voir avec celui qui animait l'œuvre en fusain qui trônait fièrement au-dessus de la porte de son atelier. Il en allait de soit que ce n'était pas son idée, mais bien celle de sa mère qui avait tenue à exposer sa première œuvre à avoir reçu un prix; Prix du premier espoir jeunesse, d'un petit concours de l'école de dessin à laquelle elle était inscrite à l'époque.
Un passe-temps qui avait fini par devenir le centre de son monde.

Ce monde maintenant blanc.

Le pot de peinture à l'huile qu'elle avait ouvert précédemment commençait à avoir les bords secs, il n'avait même pas été utilisé pour un quelconque mélange de peinture, elle le referma alors avant de piéger son visage entre ses mains. Junko voulait crier pour extérioriser sa frustration.
Ne pas pouvoir dessiner quand cela à été le sens même de sa vie la déprimait profondément, toute sa valeur, son entourage et son environnement dépendait de son art. Son monde entier tournait autour de ses pinceaux.

Le perdre l'avait isolée de tout ; elle a perdu ses amis, son école, son prestige, sa famille.

Elle n'avait plus aucun talent.

Junko abandonna. Elle se leva de son siège et rangea son pinceau dans la boîte où ils étaient tous rangés et qui prenaient la poussière.
En quelques secondes elle avait quitté la pièce, elle ne fermait pas la porte, au cas où l'inspiration reviendrait et qu'elle aurait à y courir. Elle ne la fermait jamais.

Le couloir était long et muni de nombreuses portes, identiques, entrecoupées de quelques cadres photos ou plantes artificielles car personne n'avait jamais eu le temps de s'en occuper
Les seules vraies plantes que cette maison avait habitée avait fanées depuis bien longtemps, après son départ.

Junko passa devant une des portes, l'unique qui était muni d'un signe de distinction ; trois autocollants de fleurs colorées de tailles différentes.
Signe d'une enfance marquée de joie et d'innocence, Junko hésita avant de s'en approcher, posant délicatement sa main sur les pétales violets de la plus grande. Le léger relief qu'elle sentait sur ses doigts rugueux, son front se posa doucement contre le bois alors qu'elle fermait ses yeux.

Elle prit de grandes inspirations et à chacune d'entre elles sa main glissait vers la poignée de porte, jusqu'à l'empoigner timidement comme si elle pouvait la brûler.

Ses yeux gris fixaient cette poignée, tout ce qui la séparait de ce vestige du passé, d'une pièce qui pourrait la blesser plus encore qu'une lame dans la poitrine.
Son cœur battait plus fort et quelques vertiges lui donnaient l'impression qu'elle allait défaillir.

Non, elle n'était pas prête à affronter ces souvenirs.

Junko lâcha la poignée en fuyant sans un regard en arrière, en direction des escaliers qu'elle descendit pour rejoindre l'espace principal de la maison.

Un salon spacieux et éclairé par le grand soleil qui illuminait ce beau jour de week-end, les murs blancs s'accordaient à merveille avec le parquet vernis couleur chêne, couvert par un tapis gris à poils courts à côté de l'espace télé. Les meubles étaient tous de teintes de beige dans un esprit naturel et minimaliste, bien que les design des fauteuils et autres étaient modernes voire même hauts de gamme pour certains, comme le fauteuil de designer vers la petite bibliothèque au fond à gauche.

𝐓𝐇𝐄 𝐋𝐀𝐖 𝐎𝐅 𝐒𝐈𝐋𝐄𝐍𝐂𝐄  ||  ᴍɪᴛsᴜʏᴀ x ᴏᴄOù les histoires vivent. Découvrez maintenant