36 - Matéo

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Les réparations de l'atelier touchent à leurs fins. Debout devant le bâtiment, Matéo l'observe avec soulagement. Demain, les dernières retouches seront faites, l'atelier sera comme neuf. Le toit, rutilant, n'a jamais été aussi beau.

Les figurines des garçons se sont vendues comme des petits pains. Tous trois espèrent parvenir à vendre les dernières le lendemain. L'argent récolté aidera sans doute Avel et Alana à s'en sortir. Malgré son âge, Matéo a fait sa part, et cette certitude le rend étonnamment fier.

— Mat ?

La voix d'Alexandre le tire de ses pensées. Le jeune garçon se tourne vers son frère.

— Est-ce qu'on peut parler ?

Matéo fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il y a ? Qu'est-ce qui va pas ?

Il suit son frère jusque dans la chambre qu'ils partagent. Les deux lits, chacun dans un coin de la pièce, sont en désordre. Des vêtements trainent un peu partout, Matéo se promet de les ramasser... s'il y pense.

— Alex ? le presse Matéo en s'asseyant à ses côtés au pied du matelas, dos contre le lit.

— Il faut que je te dise un truc, Mat. C'est...

Alexandre hésite. Il semble chercher ses mots, et Matéo remarque l'agitation qui s'est emparé de lui, ses yeux brillants d'une émotion indéchiffrable, ses mains abîmées par le stress.

Finalement, Alexandre souffle :

— C'est papa.

Matéo se raidit. Il serre les mâchoires, se prépare à encaisser. Même absent, son père est capable de leur faire beaucoup de mal, il en est convaincu.

— Il est sorti ?

Sa propre voix lui semble inconnue, emplie d'angoisse.

— Bien sûr que non ! s'écrie Alexandre, tout aussi choqué par l'idée. Mat, tu sais qu'il en a encore pour quelques années...

— On sait jamais, marmonne le gamin en haussant les épaules. Et si c'est pas ça, alors c'est quoi, le problème ?

— Il m'a écrit une lettre.

— Tu l'as brûlée ?

Alexandre cligne des yeux.

— Euh... non.

— Tu l'as jetée, alors ?

— Non plus...

— Tu l'as enterrée ? Lancée dans l'étang ?

— Non, Mat...

— Mais t'en as fait quoi, alors ?

Son désarroi fait écho à ses angoisses. Si Alex ne s'est pas débarrassé de la lettre...

— Mat, je pense que tu devrais la lire...

— Non !

Matéo se lève d'un bond, cache ses mains tremblantes derrière son dos et recule précipitamment.

— Il regrette tellement, Mat...

— Je m'en fous !

— Il voudrait nous revoir...

— Jamais ! crie Matéo, incapable de savoir s'il est furieux ou juste terrifié. Ça va pas, non ? T'es malade ! Je veux jamais le revoir ! Jamais !

— Matéo...

Alexandre se lève à son tour, tente de l'attraper par le bras, mais Matéo se jette sur le côté pour esquiver le contact physique. Désemparé, Alexandre tire un bout de papier de sa poche et le lui tend avec précaution. Matéo fixe la lettre avec horreur.

— Lis-la, murmure Alexandre, comme si toute énergie l'avait soudain quitté. Lis-la, et ensuite on décidera, ok ?

Matéo réprime les mots qui lui montent aux lèvres, se retient de dire qu'il a déjà décidé, que c'est non, peu importe ce qui est écrit. Il attrape la lettre, la fourre dans sa poche sans un mot et quitte la chambre en courant, bousculant son frère.

Sans réfléchir, il court jusqu'au cabanon de Romain et Alyssa, tambourine à la porte.

— Matéo ? Qu'est-ce qui ne va pas ? s'inquiète Romain.

Matéo réalise qu'il pleure, Romain le fait asseoir et lui tend un mouchoir. Il essuie ses yeux et son nez d'un revers de manche. Il ne veut plus penser, il veut tout oublier, à commencer par cette foutue lettre, qui semble peser des tonnes dans sa poche.

— L'histoire, hoquète-t-il entre deux sanglots, tu peux continuer l'histoire ?

— Matéo...

— S'il te plaît, gémit le jeune garçon d'une voix rauque. S'il te plaît, l'histoire.

Ce que souffle le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant