24 - Alexandre

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— Il a l'air heureux, murmure-t-il pour lui-même.

Sa remarque n'échappe pourtant à personne. Alyssa sourit en voyant Matéo à travers la vitre.

— Jimmy et Théo y sont pour quelque chose, devine Avel.

Aussitôt, Alexandre, Romain et Alyssa se raidissent. Ils échangent un regard nerveux : que sait Avel, exactement ?

Soudain, Alana fait soudain irruption dans la cuisine, l'air contrarié.

— Oh, ceux-là, alors ! souffle-t-elle avec un agacement visible.

Alexandre l'observe avec intérêt. Comme Avel, il est rare de la voir exprimer une quelconque émotion négative.

— Je m'en charge, sourit l'ébéniste en se levant.

Il quitte la pièce, sous les regards surpris des autres, et Alexandre fronce les sourcils.

— Qu'est-ce qu'il se passe ?

— Les voisins sont de retour, et ils sont parfaitement odieux !

Alexandre se lève d'un bond.

— Ils ont dit quoi, encore ?

— Ils veulent racheter les lieux.

— Quoi ? s'étonne Romain.

— Comment ça, racheter ? grogne Alexandre.

— Ils savent qu'on traverse une mauvaise passe, ils proposent de tout racheter avant qu'on ne soit ruinés. Je leur ai dit qu'on ne vendrait jamais, mais ils ne veulent rien entendre.

— Mais quels connards, ceux-là !

Le coup de sang d'Alexandre fait sursauter les adultes. La fureur bout dans ses veines, son sang ne fait qu'un tour. La colère déborde, les vagues de fureur menacent d'engloutir tout le reste.

— Alexandre, attends !

Il court vers l'entrée de la propriété, par-delà les bois. C'est certain, les voisins seront là, avec leur affreux pick-up.

— Alexandre !

On saisit son bras, il se libère d'un geste brusque. Alyssa pousse un cri de surprise, insiste :

— Alex, arrête, calme-toi !

Il l'entend à peine. Alors qu'il s'apprête à reprendre sa course, elle lui assène soudain une gifle magistrale.

La douleur le prend par surprise. Sonné, le jeune homme cligne des yeux.

— Qu'est-ce que...

Sa fureur retombée, il prend peu à peu conscience de la situation. Alyssa recule d'un pas, rouge jusqu'à la racine des cheveux.

— Pardon, je... Ça va ?

Il la regarde.

— Euh...

— Je me suis dit que la douleur t'aiderait à contrôler ta colère. Peut-être. J'ai pas tellement réfléchi, en fait... Ça a marché ?

— Euh...

— Alexandre ?

— Oui, oui, ça a marché, bredouille-t-il.

— Ouf, laisse-t-elle échapper avec un petit sourire. Tant mieux, parce que cogner les voisins ne va aider personne.

— Tu m'as giflé, dit-il.

— Je ne savais pas quoi faire d'autre... Je t'ai fait mal ?

— Comment tu savais que ça marcherait ?

Alexandre la dévisage, pensif. Elle porte un T-shirt gris à manches courtes et un pantalon noir serré autour de ses jambes minces. Les cernes sous ses yeux ne sont dissimulés par aucun maquillage, aucun artifice.

Elle n'a jamais l'air en colère, elle est toujours d'humeur égale, douce et patiente. Jamais il ne l'a entendue élever la voix. Pourtant, Avel ne l'a sans doute pas invitée à participer à leur séance de méditation guidée par simple politesse...

Si elle n'en veut à personne, contre qui est-elle en colère ?

— Entre Matéo et toi, les voisins ont du souci à se faire, rit la jeune femme.

Il croise les bras.

— On va quand même pas les laisser faire la loi.

— Vous avez pas votre pareil pour attirer les embrouilles, tous les deux, pas vrai ?

— Personne n'est parfait, bougonne-t-il.

Alyssa laisse planer le silence quelques secondes, avant d'acquiescer :

— Ça, c'est sûr. On a tous nos défauts...

L'amertume dans sa voix surprend Alexandre.

— Faut apprendre à vivre avec, voilà tout.

— Même s'ils nous gâchent la vie ? riposte la jeune femme, et à cet instant, ses yeux brillent avec intensité.

— Faut essayer d'en voir le bon côté, voilà tout.

— Tes crises de colère, elles ont un bon côté ?

La question se veut sans doute pleine de défi, mais tout ce que perçoit Alexandre, c'est une étrange vulnérabilité. Il hausse les épaules.

— C'est un moyen de me protéger, et de protéger ceux que j'aime. Bien sûr, ce serait mieux si j'arrivais à les maîtriser, mais ça viendra.

La jeune femme laisse échapper un petit reniflement dédaigneux.

— C'est quoi, cette philosophie à deux balles ? D'habitude, t'es pas aussi poétique...

— D'habitude, je ne t'apprécie pas, rétorque Alexandre, désinvolte.

Il plaisante - ou pas, c'est difficile à dire, en réalité. Il ne sait pas trop. Pourtant, sa remarque semble avoir plus d'effet qu'elle n'aurait dû : les épaules de la jeune femme s'affaissent brusquement, elle baisse la tête et se détourne.

— Va pas cogner les voisins, dit-elle seulement.

Et elle le plante là. Il la regarde ouvrir la porte du cabanon et s'enfermer à l'intérieur, seule.

— Merde, laisse-t-il échapper.

S'il l'a blessée, elle va le rapporter à Matéo, et il va être en colère contre lui. Encore.

Il savait bien que cette fille était forcément synonyme d'ennuis.

Ce que souffle le ventOù les histoires vivent. Découvrez maintenant