Jour 2

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Jour 2

2.1

Bellone

J'ai l'habitude de me réveiller avec le soleil. Je ne ferme pas mes volets, ne tire aucun rideau, me synchronise au rythme le plus naturel au monde.

Aujourd'hui, je constate que l'astre est déjà levé depuis une bonne heure lorsque j'émerge. Ça me frustre et m'agace, pour la même raison obscure qui me pousse à tenir cette demeure aussi propre et ordonnée que possible, mais ça ne me surprend pas. Je me suis assoupie tard. Les heures ont défilé sur mon réveil tandis que je fixais la porte, enroulée dans mes draps.

Roman a dormi ici, cette nuit. Je m'attendais à entendre le bruit de ses pas au plafond, suivre son parcours jusqu'aux toilettes, à la salle de bain, ou pourquoi pas celui jusqu'à moi pour s'enquérir d'un potentiel dîner. Mais il n'est pas redescendu, et je n'ai rien entendu. Je sais qu'il est là ; ma gorge me brûle encore de la pression de son bras à travers elle, ma chair crépite au souvenir de son odeur et la pierre de ses yeux est imprimée sous mes paupières. Il est réel. On n'invente pas un type pareil. Mais il est aussi silencieux qu'un fantôme ; un être froid et cruel qui piège mon refuge dans les ténèbres.

Je me sens vide, souillée, possédée. Je ne reconnais pas mon havre, ma paix et mon silence.

Combien de temps va-t-il rester ici ? Qui est-il ? Que va-t-il faire ici ? Allons-nous devoir parler ? Sympathiser ? Nous organiser ?

Une nausée me monte à la gorge et ma tête me tourne un peu lorsque je me décide à sortir de la pièce. Je n'ai rien mangé non plus hier soir, et ai passé une grande partie de la nuit à lutter contre le désir de rejoindre la cuisine et récupérer ma solution de repli. C'est encore une option. La disparition ultime. Je m'éteins, il fait ce qu'il a à faire ici, et quand je reviendrai à moi, il aura disparu. Roman-avec-un-R-qui-roule n'aura été qu'un genre de cauchemar obscur, que je relèguerai avec le reste : les trucs qui appartiennent à la fumée et à l'oubli.

Sauf que non. Je n'ai pas cédé. Et voilà que je sors de la chambre, des nœuds plein le ventre, avec l'impression de ne plus rien reconnaître à ma propre maison.

Et pour cause : des trucs ont bougé. Partout. C'est infime, mais je le vois comme s'ils étaient indiqués par des panneaux luminescents. Cadres photos, bibelots, coussins, chaise, vase... Il se fout de ma gueule ?

De respirations hachées s'élèvent depuis l'extérieur ; il est levé, et il a dû foutre son bordel alors que je dormais. La colère. La colère, c'est bien, c'est un bon moteur, ça va me permettre de faire un pas devant l'autre et d'ignorer tout le reste.

Je traverse le couloir, rejoints la porte d'entrée ouverte sur ma terrasse... et me fige face à la scène. Roman est effectivement debout. Réveillé. Actif. Il m'offre la vision de ce que doit être, je suppose, sa routine matinale. Ma hargne prend un coup dans l'aile. J'ai envie de me détourner, de courir jusqu'à ma chambre et de ne plus en sortir jusqu'à ce que cet homme percute qu'il n'a rien à foutre ici, seulement mon corps ne m'autorise pas le moindre mouvement. Il reste là, ébahi devant le spectacle.

Roman est donc massif, mais moins que le laissait présumer l'énorme sweat qu'il portait hier. Là, il ne porte plus rien du tout, en dehors d'un short de sport noir, et m'accorde tout le loisir d'admirer sa stature. Tout est sculpté avec une précision chirurgicale. Allongé par terre, il travaille ses abdominaux, les mains nouées derrière la tête, et mon regard court sur chaque renflement de ses muscles ciselés et puissants. On a l'habitude de voir ce genre de corps à la télévision, mais beaucoup moins au beau milieu de sa terrasse. Tout est harmonieux, du dessin de ses trapèzes au joli V plongeant sous son short, en passant par des pectoraux plus larges que ma main et des biceps saillants.

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant