Neuf semaines plus tard
Bellone
N'en déplaise à mes bonnes résolutions, il a tout de même fallu disparaître. Du genre, pour de bon. Dax est un grand malade, il a le bras long et un aplomb qui flirte avec l'inconscience. Quand il prétendait suivre les directives de son boss et de Joseph, il s'organisait, en réalité, pour ramener deux cadavres supplémentaires à jeter dans les flammes de ma baraque. Celui d'une femme, d'à peu près ma taille, et d'un homme de celle de Roman, fraîchement livrés par un « ami indépendant ». Le type ne bosse pas pour le grand patron et avait une dette envers Dax, il a donc accepté d'oublier l'usuel bain d'acide du jeune couple (assassiné sur ordre de l'épouse officielle du monsieur qui a très, très mal pris la liaison de son mari) pour un barbecue au milieu des Landes.
Le boss a gobé l'histoire. Roman et moi avons éliminé les Off. Dax a été mis KO par Roman, le temps de notre petit live aux internautes, mais il est parvenu à nous avoir juste avant de cramer avec la baraque. Il nous a donc laissés dedans et s'est tiré. Simple comme bonjour.
Même les pompiers ou les experts n'y ont vu que du feu, sans mauvais jeu de mots. Moi qui craignais que ce con de Hugues ne fasse flamber ma forêt en y balançant ses mégots, je confirme que ma peur était justifiée. Tout a brûlé, pas seulement la maison. Les flammes ont ravagé mes trois hectares de terre aride et commençaient à attaquer les alentours lorsque les Canadairs ont débarqué. Il ne reste rien de mes huit ans d'attente et de mes souvenirs d'enfance. Rien qu'un tas de ruines noirâtre, qui a agité les médias pendant des semaines.
L'histoire a fait du bruit, je dois dire. Même aujourd'hui, au bout de trois mois, les réseaux s'embrasent encore. Le hashtag « memento mori » a atteint des records stratosphériques. On m'a autant traitée de folle à lier et de menteuse que l'on a encensé ma bravoure et mon sens de la justice. Les Filles ont parlé, bien sûr. Toutes celles mentionnées par Joseph avant sa mort ont été invitées à s'exprimer sur le sujet. Seulement trois ont tout nié. Seulement. Trois. Sur la douzaine que mon oncle a citée. Toutes les autres ont avoué avoir été manipulées par ce monstre et, si la plupart auraient préféré le voir comparaître devant un tribunal plutôt que de finir torturé et assassiné par sa nièce, certaines osent, de temps à autre, admettre qu'il n'a eu que ce qu'il méritait.
Maintenant, certains pleurent ma mort, d'autres s'en réjouissent. Certains défendent encore le grand Joseph Elman et d'autres, beaucoup d'autres, savent qu'aucune actrice française ne le regrettera jamais.
Et moi, j'attends. C'est un truc que je sais faire, ça. Sauf que cette fois, j'attends quelqu'un qui reviendra forcément. J'attends en étant plus vivante, plus impatiente et plus épanouie que jamais.
Le cadre aide, je dois dire. Une maison en Sicile, presque aussi paumée que mon tombeau, mais avec la mer en panorama, une délicieuse odeur iodée, le bruit du vent, le chant des mouettes, et, cerise sur le gâteau, la silhouette quotidiennement torse nu d'un dieu slave près de moi. Et il m'entretient, en plus de ça. Puisque je suis morte, aux yeux du monde comme aux yeux de mon banquier, je ne suis guère habilitée à transférer ma fortune sur un compte offshore, ce que Roman fait depuis le début de sa carrière. Personne ne peut le tracer et personne ne le pourra jamais.
Me voilà donc sans un sou, mais dans une petite bicoque paradisiaque, au côté d'un homme descendu de l'Olympe. Je suppose qu'il y a pire, comme situation.
— Je commence à m'y faire, au blond.
Je croise le regard de Roman dans le miroir. Ça fait une demi-heure que je m'acharne à lisser mes boucles, après avoir foutu un bordel monstrueux dans la salle de bain pour refaire ma couleur.
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Memento Mori
RomanceBellone vit seule, dans cette maison qui garde son silence, ses secrets, ses souvenirs, et peut-être bien quelques fantômes... Elle aime ce silence, ces secrets et ces fantômes. Et elle dépense toute son énergie à rester ainsi, dans cet endroit où r...