9.3
Bellone
Et je l'ai eue, sa queue. Beaucoup. Si un instant de jouissance entre les bras de Roman-avec-un-R-qui-roule devrait être un opioïde à s'injecter dans les veines, pour ceux avides d'un voyage multi-sensoriel, je lui ai découvert une autre faculté géniale : c'est un excellent remède à la gueule de bois.
Je suis rentrée chez moi avec le cœur en vrac, l'estomac démoli par le whisky et le crâne sur le point d'exploser, mais l'endorphine a fait son job. Les seules douleurs que je me traîne encore sont résiduelles du passage de Roman entre mes chairs : mon entrejambe me tiraille et des hématomes, je crois, s'épanouissent sur des zones précises de ma silhouette.
Je suis allée prendre une douche après notre conversation sur le sol de mon séjour, pour me nettoyer de l'odeur infâme des draps de Martin. Il m'a rejoint, encore nu, encore douloureusement superbe, tout de muscles saillants et de violence réprimée. Pas un sourire n'ourlait ses lèvres, que je sentais encore bouffer les miennes, ma peau, mes chairs. « Seulement ma queue, hein ? » m'a-t-il dit. Je n'ai pas souri non plus. Juste hoché la tête. Alors il m'a poussée sous l'eau tiède et m'a fait jouir en duo avec le pommeau de douche.
Quand il s'est mis en tête de nous préparer à manger et que je l'ai observé en train de couper des légumes, il ne m'a pas fallu longtemps avant de tomber à genou pour le déguster lui, une attention qu'il a récompensée en me pilonnant sur le plan de travail.
Puis il y a eu la terrasse, la table du séjour, le potager, la piscine, tant d'instants fantastiques et incontrôlables qui me laissent, le soir venu, dans un état de fatigue proche de la léthargie. Nous parlons finalement assez peu, comme d'habitude. Les longues heures de silence et d'évitement qui ont rythmé cette dernière semaine ont juste été remplacées par des instants charnels et dévorants.
Le soir venu, je ne suis plus qu'un amas de chair crépitant et usé par le plaisir accumulé. Même lui, dieu grec infatigable, s'est écroulé sur le canapé comme on rentre d'une journée de boulot harassante. Il boit mon whisky directement à la bouteille, et ce seul trajet de la table-basse jusqu'à sa bouche semble lui coûter une énergie colossale. Pourtant, son autre main ne se lasse pas de jouer avec mec cheveux, depuis que je me suis allongée pour poser ma tête sur sa cuisse.
Nous avons allumé la télévision, ce que je ne fais jamais. Un méli-mélo de crudités, d'arachides, de chips et de fruits frais sont disposés en pagaille sur la petite table devant ses jambes et nous les grignotons depuis – je suppose – un peu plus d'une heure, à défaut d'être parvenus à nous préparer un véritable repas.
J'entends les chouettes hululer dans les arbres et les grillons striduler leur ode à la lune, depuis la fenêtre entrouverte. Des papillons de nuit et des moustiques se sont engouffrés dans le séjour et dansent autour de notre seule source de lumière : le défilé de pubs colorés et agressives à l'écran. J'avais oublié à quel point les chaînes télévisées me prennent la tête. Ça fait dix minutes que celle-ci nous a coupé en plein milieu d'un film, pour nous parler voitures, tampons, services financiers, lessive ou bouffe.
Du coup, je le regarde lui. Ses traits fantastiques. La ligne aiguë de sa mâchoire, le dessin de sa repousse de barbe, la petite cicatrice de varicelle sur sa joue et le mouvement de son épi de cheveux, au niveau de sa tempe gauche. Même quand il les place vers l'arrière pour s'aérer un peu le front, cette mèche-là n'en a rien à faire. Elle jaillit presque en ligne droite, rebelle et indisciplinée, tout juste assez longue pour retomber près de son oreille.
J'ignore s'il s'est rendu compte de ça. S'il a un jour prêté assez attention à lui-même pour réaliser qu'une partie de ses cheveux n'était pas coopérative. S'il avait bossé au cinéma, ça aurait rendu fous les préposés aux coiffures. Il aurait été mis au courant des défauts de sa carasse dès son plus jeune âge, et armé de tout un tas de stratagèmes pour les camoufler. Mais il n'en a pas beaucoup, des défauts. Ça n'aurait pas été difficile.
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Memento Mori
RomansaBellone vit seule, dans cette maison qui garde son silence, ses secrets, ses souvenirs, et peut-être bien quelques fantômes... Elle aime ce silence, ces secrets et ces fantômes. Et elle dépense toute son énergie à rester ainsi, dans cet endroit où r...