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Bellone

Je le hais.

Je hais ce grand blond trop maigre capable de faire sourire Roman, et ça me fait mal.

Ça se mêle à l'autre douleur, immense, qui me corrode jusqu'à l'os depuis que le vide est devenu réel.

J'ignore pourquoi, ce matin, j'ai décidé de l'articuler, ce vide. Pourquoi je me suis réveillée au lendemain du meurtre de Martin avec la certitude qu'il savait, que Roman savait aussi, que j'ai toujours su, et qu'il était temps de le formuler.

Ça n'a pas été difficile de quitter ma maison. Mon facteur était mort, il n'allait plus me déposer le courrier d'Osana et il ne l'avait, de toute façon, jamais fait. Toute la nuit, j'ai songé au déroulé des évènements et me suis souvenue de la toute dernière lettre de mon premier stalker. Elle puait le désespoir. Elle parlait au vide, soudain créé dans mon ventre. Et le lendemain, j'avais un nouveau facteur. Un blond souriant, qui me regardait comme la huitième merveille du monde sans jamais m'appeler par mon prénom.

C'est un peu pathétique de se dire que je vivais le même déni qu'un fanatique.

Alors j'ai quitté la maison et j'y ai laissé mon vide. Je mentirais en affirmant que tous mes espoirs sont restés sur place aussi. Un résidu, un petit rien encore furieux et chaud dans ma poitrine voulait que Roman jure ne pas savoir ce qui était arrivé à ma sœur. Il voulait qu'il me rassure, me promette qu'on allait la retrouver, que c'était tout ce pour quoi j'avais eu la force, aujourd'hui, de sortir de chez moi.

Mais non. Les espoirs aussi sont morts, sur cette route de campagne, quand j'ai vu dans ses yeux que plus jamais je ne croiserais ceux d'Osana Elman.

Puis cet idiot m'a amenée chez son assassin. Et il me demande de rester calme, là, sur ce canapé, dans cet espace qui sent la cigarette froide et le plat réchauffé, alors que toutes mes fibres supplient de me jeter sur notre hôte pour lui taillader le visage.

J'ai pleuré entre les bras de Roman un long moment, jusqu'à ce qu'il ne me reste plus rien ; plus une larme, plus un souffle assez puissant pour expulser des hurlements, plus assez d'énergie pour faire jaillir l'intolérable souffrance. Ma tête tourne un peu et je grignote, sans aucune faim, une barre protéinée que le dieu slave m'a fichue dans les mains. Il l'a accompagnée d'un café et d'un murmure chaud, à mon oreille, qui me disait de manger pour retrouver des forces.

Mais si je retrouve des forces, je bute Dax. Je me fous que ce soit son métier de tuer. Je me fous de n'avoir aucune chance. Il est là, indifférent et glacial, à se gaver de caféine comme un camé sur sa poudre, relaxé sur son fauteuil, à vivre, à respirer, à parler, alors qu'Osana ne fera plus jamais rien de tout ça. Par sa faute.

— Qu'est-ce que t'as fait de son corps ?

Les deux hommes, alors en train d'échanger des mots que je n'écoutais pas, se tournent vers moi. Roman, depuis ma gauche, sur le canapé. Dax, en face, juste après la table basse.

L'espace pourrait être beau, ici. C'est petit, moderne, et peu encombré. Mais il n'y a pas de bibelots décoratifs, pas de mobilier inutile. Pas de plante verte pour égayer les tons clairs des murs, pas de rideaux aux fenêtres pour donner de la chaleur à la pièce, pas une touche de couleur et encore moins de photos souvenirs. Tout crie la possibilité d'avoir à partir vite. Tout est lisse, froid et sans nuance ; exactement comme Dax.

Je déteste cet endroit.

Ses yeux pâles sondent les miens une poignée de secondes, et je m'attends à y voir un genre de moquerie amère, de celle qui se délecte de la peine à venir, mais non. Il articule sa réponse comme il m'aurait annoncé le temps qu'il fait :

Memento MoriOù les histoires vivent. Découvrez maintenant