Chapitre XXI : Secret de papier

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Gaïle marchait nerveusement dans le couloir, ses mouvements trahissant une agitation intérieure. Quiconque l'aurait croisée aurait pu aisément déceler dans son attitude les remords qui la rongeait. Ses mains tremblaient légèrement alors qu'elle frappait à la porte de sa maîtresse.

« Entrez, dit une voix à l'intérieur.

La femme de chambre s'exécuta et referma soigneusement la porte derrière elle. Elle sortit aussitôt de son corset deux documents qu'elle tendit à la jeune femme, qui s'avança d'un pas vif.

- Les deux documents sont là ? demanda celle-ci d'un ton pressant, les yeux fixés sur les papiers.

- Oui Mademoiselle. Celui du père et de la sœur du jeune maître.

La jeune femme s'empressa de cacher les feuilles dans son secrétaire qu'elle ferma à clé.

- Tu as fait un excellent travail. Maintenant, ne tarde pas à remettre les originaux dans le bureau du Comte. Sa récente dispute avec la Vicomtesse pourrait bien l'inciter à se replonger dans ces documents.

- Dès demain Madame. J'ai entendu dire que Monsieur doit se rendre en ville dans la matinée.

- Merci Gaïle. De mon côté, je tiendrai ma promesse, dès que le mariage sera célébré, tu deviendras l'intendante de ce domaine.

Les yeux de la domestique, baissés jusqu'alors s'illuminèrent à l'évocation de la promotion tant désirée, un sourire discret, mais ravi, étirant ses lèvres, laissant derrière lui, toute trace de culpabilité.

- Je suis entièrement dévouée à votre service, Mademoiselle Leuridan », déclara-t-elle avec ferveur.

Lyra entra dans la petite pièce qu'on venait de lui attribuer, une salle lumineuse avec un tableau noir devant lequel un bureau en acajou verni s'imposait, accompagné de deux petits pupitres de la même essence. Les pupitres, avec leurs incrustations de laiton et leurs surfaces lustrées par des années d'utilisation, semblaient évoquer les souvenirs d'enfants studieux, peut-être ceux du Comte et de sa sœur, qui avaient suivi leurs leçons ici quelques années plus tôt. Les murs étaient ornés de grandes affiches, parmi elles une carte détaillée d'Aédorval, affichant toutes les familles nobles du comté, et à côté, une carte encore plus grande représentant l'ensemble du royaume. Lyra s'approcha et chercha Parnassie sur le papier jauni. La distance entre sa ville natale et Aédorval paraissait insignifiante face à l'immensité de Thalestoria.

Une porte au fond menait à une petite chambre, semblable à celle qu'elle avait dans l'annexe. Elle y déposa sa valise et rangea ses quelques vêtements dans l'armoire.

Elle s'installa quelques secondes sur le lit, puis tenta de faire le point sur ce qui lui arrivait. Elle était désormais préceptrice. Comment ? Elle qui, quelques jours plus tôt, s'attendait à être congédiée une bonne fois pour toutes du domaine. Pourquoi le Comte avait-il changé d'avis ? Lui qui s'était montré si méfiant et contrarié à l'idée qu'elle reste auprès de sa nièce durant sa convalescence. Lyra poussa un long soupir, perplexe. Peut-être que le Comte doutait de ses compétences et attendait patiemment de mettre en lumière ses failles ? Avait-elle fait une erreur en acceptant ? Elle enfouit son visage dans ses mains, essayant de calmer les voix qui s'entrechoquaient dans son esprit.

Quoiqu'il en soit, elle était déterminée à être une enseignante exemplaire pour Nalira. Elle récupéra au fond de sa valise le Manuel d'éducation des jeunes filles que lui avait offert Elwynn il y a de cela plusieurs mois maintenant, elle ne l'avait pas rouvert depuis son arrivée au domaine. Elle s'installa à son nouveau bureau et ouvrit le livre pour parcourir les nombreux chapitres qu'elle avait pris la peine d'apprendre par cœur avant son entretien. Elle se rappela alors les soirées passées avec son ami, sa dévotion, ses encouragements à son égard. Elle se sentait honteuse de ne pas avoir trouvé le courage nécessaire pour lui dire la vérité sur les réelles conditions de son arrivée au domaine. Son cœur se serra, elle avait l'étrange sensation que leur amitié était devenue impossible depuis qu'elle connaissait les sentiments qui l'animaient.

Le Chant De La Pluie : Livres I et IIOù les histoires vivent. Découvrez maintenant