- Bon, il ressemble à quoi, ce monsieur ? demanda Jean en marchant à bonne allure sur les pavés graisseux de la cour du quartier général.- Grand, très grand, un long manteau noir, une longue canne incrustée de pierres brillantes, haleta le plus jeune qui peinait à tenir le rythme. C'est la première fois que je vois ça... et ses poignets brillent, il a l'air d'avoir plein de bagues... et de bijoux !
- Où l'a t-on vu pour la dernière fois ?
- Près de la blanchisserie de Germaine, il avance vite.. Mais on le repère facilement, il sent l'argent !
Adélaïde plissa pensivement ses yeux bruns. On voyait rarement des nobliaux dans les quartiers pauvres de Marseille. Ou cet homme était étranger, ou il était complètement inconscient. Dans les deux cas, il était une cible facile. Mais ils devaient se dépêcher, car d'autres avaient du bien vite repérer cet homme. Ils empruntèrent une série de petits passages étroits où un homme adulte aurait eu peine à se glisser. Puis au débouché d'une ruelle, la cacophonie du marché parvint graduellement aux oreilles des enfants. Ils approchaient de la cible. Jean connaissait par cœur le dédale des rues de Marseille.
- Il allait vers le port, tu crois ? s'enquit-il auprès de son ami.
- J'en suis sûr, c'est là où tout le monde va.
- Espérons qu'il soit comme tout le monde, notre oiseau... à quelle allure marchait-il ?
- Un peu moins vite que nous.
- Bon, alors s'il était près de la blanchisserie, il devrait pas être loin, marmonna Jean en bifurquant dans un passage étroit.
Ils s'y engagèrent ensemble, sentant au fur et à mesure de leur progression le volume des éclats de voix augmenter. Un rayon de soleil les aveugla enfin. Ils avaient débouché sur une petite rue, près d'une échoppe vide.
- C'est lui, regarde, chuchota soudain Simon.
Aussitôt, les deux garçons se cachèrent dans une ruelle étroite. Jean risqua un coup d'oeil hors de sa cachette vers la silhouette qui marchait à quelques mètres d'eux. Joseph n'avait pas menti, cet homme puait l'argent. De ses bottes parfaitement cirées à son beau manteau de velours, il transpirait la noblesse.
- C'est la première fois que j'en vois un de si près, murmura Simon, fasciné.
- De quoi ? Un nobliau ?
- Oui, un aigle royal...
Adélaïde haussa un sourcil. Elle n'avait aucune idée de ce que pouvait bien être un aigle royal.
- C'est quoi ça ?
- Oh, c'est un oiseau, expliqua précipitamment Simon. Enfin, le nom d'un oiseau. C'est ma tante qui m'a appris le terme. Elle voyage quelquefois, alors, quand je la vois, elle m'instruit un peu sur ce qu'elle apprend... il paraît que c'est un très bel oiseau. Très majestueux.
- Ah, oui, c'est vrai que ça diffère des "pigeons" habituels...
Une gêne étrange planait à présent dans l'air. C'était la première fois que Simon expliquait quelque chose à Adélaïde. Comme si les rôles s'étaient inversés. Depuis toujours, c'était elle qui s'occupait du plus jeune. Elle l'avait pris sous son aile lorsqu'il avait 8 ans, autant par pitié que par compassion. Comment tourner le dos à un enfant lorsqu'on a soi-même vécu une tragédie au même âge ? Alors le fait qu'il soit plus instruit qu'elle lui faisait tout drôle. Légèrement embarrassée, Adélaïde reporta son attention sur leur cible.
- Et merde, cracha-t-elle soudain.
- Quoi ? Quoi ? Laisse moi voir !
Un jeune enfant se dirigeait droit vers l'homme en noir, l'air désintéressé, les mains dans les poches. Mais il ne fallait qu'un coup d'œil des habitués du quartier pour reconnaître un petit voleur à la sauvette. Et celui-ci ne venait pas de la bande de Joseph. Voyant sa promotion lui passer sous le nez, Jean allait déjà tenter d'arrêter le gamin quand l'impensable se produisit. Au moment où le voleur laissait innocemment traîner ses mains sur la bourse de l'homme, ce dernier l'arrêta d'une seule main, d'un mouvement si fluide qu'il en devint flou. Le gamin, pris la main dans le sac, abordait déjà un mouvement pour s'enfuir quand l'homme se pencha sur lui et lui murmura quelques mots. Jean vit l'enfant acquiescer aussitôt et le nobliau lui remettre quelque chose, puis il vit les deux individus s'éloigner en direction d'un appartement.
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Le Double-Jeu ~ {Fanfiction Le Comte De Monte-Cristo}
FanficQue se serait-il passé si l'armateur Morrel avait eu une petite fille, en plus du jeune Maximilien ? Que se serait-il passé si une personne avait dévié la balle mortelle qui visait André de Villefort ? Que se serait-il passé si une troisième protago...