Prologue

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1823 - Marseille.
Huit ans. Le temps est cruel. Cela fait huit ans depuis que le jeune Edmond Dantès a été enfermé au Château d'If. Il s'en rappelle comme si c'était hier. L'odeur froide de l'église qui tranchait sur la chaleur du soleil d'été. Le bruissement impatient et joyeux des étoffes bon marché des convives. Les doux tremblements du vieux Louis Dantès, contrastés par son regard rayonnant de fierté et d'amour. Et à la convergence de toutes les physionomies, qui avaient chacune en commun cette expression de bonheur attendrie, un jeune homme, beau comme le printemps, droit et fier comme un mât de navire. Puis un doux claquement sur le sol, la mariée s'avance et éclipse le soleil. Ils sont beaux, ils sont jeunes, et Edmond Dantès touche le bonheur du doigt.

Mais à présent, de tous ceux qui ont assisté à ce mariage, chacun sait qu'Edmond Dantès est mort et qu'il n'y a plus rien à en dire. Ce scélérat de bonapartiste à crevé comme il se devait dans une geôle du Château d'If. Chacun s'est satisfait de cette annonce, sans chercher à aller plus loin. Sauf peut-être un seul homme, mais il est bien vite tombé dans l'oubli. 

Cela fait huit ans, jour pour jour, depuis que l’armateur Morrel a tout perdu. Il s'est démené, lors de l'arrestation de Dantès, pour le faire sortir de prison, car il était impensable -absurde, même- que ce garçon ait pu un jour témoigner de la sympathie pour l'Empereur Napoléon, exilé alors sur l'île d'Elbe. Il n'y a jamais cru, à cette histoire. Et il a tout fait pour lui venir en aide, en vain. Hélas, mieux aurait-il valu pour Morrel qu’il ne croise jamais la route d'Edmond Dantès. 

Il a eu le temps d'y réfléchir, depuis la ruine de sa famille. Peu après l'incarcération de Dantès, en 1815, la moitié de sa flotte se volatilise subitement. Des pirates, l’informe railleusement Danglars, qu'il a repris comme capitaine du Pharaon. Cet incident cause la baisse des actions de sa compagnie, et Morrel n'a pas le choix ; il faut vendre. 
Jamais le vieil homme n'oublie le sourire triomphant que Danglars lui jette lorsqu’il lui rachète sa compagnie pour une bouchée de pain.

La descente aux enfers débute à partir de ce funeste abandon. Forcé d'hypothéquer tous ses biens, Morrel se reloge. Fini, l'éclatant bureau qui faisait face à la mer et donnait vue sur les bateaux du port. Le vieil homme se retrouve subitement en charge de trois personnes en plus de lui-même, car son gendre a mystérieusement disparu à l'annonce de la vente de sa compagnie (on ne le revoit jamais après cela, d'ailleurs). 
La famille Morrel, réunie au complet, doit se retrousser les manches pour survivre. Mr. Morrel devient employé comme ouvrier là où on veut bien de lui, et il rentre chaque soir encore plus fourbu et meurtri que la veille. Sa fille, Antoinette, passée de riche bourgeoise à va-nu-pieds travaille maintenant comme blanchisseuse dans une petite rue mal fréquentée, et il lui arrive souvent de devoir laver des voiles de navires marquées désormais au nom de Danglars. Maximilien, le petit-fils, définitivement brisé par cette chute sociale fulgurante, dépense tous ses sous, chaque soirs aux cafés du port, en compagnie du vieux Caderousse, à s'abrutir de bières et d'alcool pour oublier qu'il a été, dans une autre vie, le  descendant d'un riche armateur.

Quant à Adélaïde, la cadette, elle aide sa mère du mieux qu'elle peut, mais on craint chaque jour qu'elle soit emmenée de force par les frères Maillard dans une des maisons closes du port de Marseille, qui, disait-on, manquaient de “chair fraîche”. 

La famille Morrel vécut bien des jours sombres à dater de cette funeste année que fut 1815. L'argent, chaque jour, venait à manquer, et pourtant, ils tenaient bon. La haine que vouait Morrel à Danglars animait ses vieux os, et chaque matin, alors qu'on croyait qu'il ne se relèverait pas, il sortait de son lit à pas lourds, avalait mécaniquement un bouillon d'eau claire, et sortait encore et toujours proposer ses bras sur le port de Marseille. 

Leur situation ne dura pas. Il est étrange de constater comme le sort s'acharne souvent sur les gens déjà terriblement éprouvés par la vie. Le 21 juillet 1822, ce qui avait semblé être une toux passagère pour Maximilien Morrel dégénéra en une fièvre retorse, qui le laissa mourant au logis. Les Morrel n'avaient pas assez d'argent pour payer un médecin, et Antoinette fut contrainte de regarder son fils dépérir sous ses yeux sans qu'elle ne puisse rien y faire. Après une longue agonie qu'aucun soin ne put soulager, Maximilien Morrel expira le 23 Décembre 1822, le jour de l'anniversaire de sa sœur Adélaïde. Est-il une torture plus éprouvante que de voir son enfant mourir sous ses yeux ? Antoinette ne le supporta pas. La mère se laissa lentement mourir, malgré l'aide constante que lui apportait son père. Deux mois après, elle était partie, elle aussi, laissant derrière elle sa fille, Adélaïde, et son père, Mr.Morrel, qui commençait à se faire fort vieux. 

Le Double-Jeu ~ {Fanfiction Le Comte De Monte-Cristo}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant