Chapitre XII : La cible

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Les deux individus se faisaient face, hors d'haleine.
Albert de Morcerf était un homme d'honneur, assurément. Lorsqu'un voleur masqué avait surgi dans le fiacre pour s'emparer de la médaille, fraîchement remise une demi-heure plus tôt à son père, il n'avait pas hésité à se jeter à sa suite malgré son élégant costume de soirée et ses bottes cirées. Heureusement, il était en très bonne condition physique et ne se défendait pas si mal à la course à pied. Il avait donc réussi à garder le rythme sans se faire distancer par le voleur. 

Ce dernier s'était brusquement arrêté sous une arche de pierre, devant une cathédrale, et semblait le défier du regard, la médaille serrée dans ses mains crasseuses.

Albert fit un pas en avant, persuadé que l'autre avait succombé à un point de côté et qu'il allait être facile de lui reprendre le minuscule trophée. L'individu ricana. À peine son rire tordu s'était achevé que des ombres se détachaient des murs alentour et s'avançaient, des gourdins dans les mains, un sourire menaçant sur les lèvres. 

Le jeune Vicomte comprit avec un train de retard qu'il avait été mené droit dans une embuscade. Il esquissa un mouvement instinctif pour battre en retraite, mais le cercle d'assaillants s'était resserré autour de lui. 
Avec un sang-froid impressionnant, le jeune homme esquiva le premier gourdin qui lui siffla aux oreilles. Mais il ne put éviter la pluie de coups qui lui tomba ensuite sur les épaules. Une silhouette lui envoya sournoisement sa botte dans l'arrière du genou et il chuta au sol. À présent exposé à ses bourreaux, le jeune homme ne pouvait rien faire d'autre que de subir. Il rentra la tête dans ses épaules, protégeant ses tempes avec ses bras, et se recroquevilla sur lui-même, accablé par la douleur, laissant échapper de faibles cris au gré des coups. 
Soudain, un homme habillé d'un costume noir, d'un haut de forme et d'une cane ciselée fit une apparition presque fantomatique. D'un pas lent, il s'avança sous la lueur de la lune, faisant briller à son poing l'armature d'un pistolet. Une détonation perça l'air, et un corps chuta au sol. Les bandits se figèrent aussitôt, offrant ainsi un moment de répit à Albert. Devant eux, l'inconnu avait abaissé son pistolet dont la crosse fumait encore. C'était moins de temps qu'il en fallait à Albert pour se saisir d'un des assaillants et lui administrer un coup de poing. De l'autre côté, l'inconnu faisait face à trois hommes. Avec des mouvements rapides et précis, il se débarassa du premier d'un sifflement de cane, brisa les côtes du second, avant d'envoyer son pistolet à Albert qui se démenait avec son adversaire. Le jeune homme n'hésita pas et tira un coup franc en plein milieu de la poitrine du bandit. 
Un grand silence s'installa alors. Les assaillants étaient tous hors d'état de nuire. Albert, encore choqué par les événements, se redressa péniblement et jeta un regard écarquillé à la main tendue de l'inconnu devant ses yeux. Alors qu'il se relevait, un gourdin s'abattit lourdement sur sa nuque. Derrière lui, un jeune homme aux yeux bleus le regardait avec une haine palpable. Il s'apprêtait déjà à le frapper une seconde fois lorsque l'inconnu l'arrêta de sa canne.

- Ça suffit. 

Le jeune homme darda sur lui un regard étincelant de fureur, les traits tirés par la colère, puis il récupéra son gourdin d'un geste rageur. Alors l'inconnu se redressa de toute sa stature et siffla longuement. Les bandits se relevèrent comme par magie. Parmi eux, le garçon aux longs cils s'avança près d'Albert et plaça à ses côtés le revolver de l'inconnu, frappé aux armoiries d'un certain C.M, avant de suivre l'homme, non sans avoir administré un solide coup de pied au corps meurtri du Morcerf. 
Quelques rues plus loin, les bandits s'escamotèrent tour à tour, ne laissant que l'inconnu et ses deux acolytes. Alors qu'ils avançaient d'un bon pas, le garçon aux longs cils retira son capuchon et laissa fuser un rire, dévoilant un visage de femme et des cheveux bruns ramenés en chignon.

- Quelle tête il faisait ! ricana-t-elle méchamment. Et quelle attitude pitoyable, digne de son rang !

- Vous n'auriez pas dû arrêter mon bras, vitupèra furieusement le jeune homme aux yeux bleus. Nous aurions pu le frapper bien plus fort.

Le Double-Jeu ~ {Fanfiction Le Comte De Monte-Cristo}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant