Entre les mondes

Chapitre 12

Alana

Depuis presque deux semaines, je répétais chaque jour les mêmes gestes, et Séraphine me faisait lire des rouleaux qu'elle avait apporté. Ces textes parlaient de l'histoire et des langues de leur monde. Mon corps n'avait jamais autant souffert, et mon cerveau aussi comprimé sauf peut-être ce jour-là dans la voiture.

Dans la maison, il n'y avait aucune photo de ma famille, rien qui me permette de garder leurs visages en mémoire. Le seul souvenir que je possède est une série de dessins de ma sœur, cachés dans ma commode. Que penserait Laura si elle était encore en vie ? Aurait-elle aussi été envoyée dans ce monde ? Elle était si jeune et n'avait presque pas connu notre mère.

Séraphine est persuadée que ma mère a apposé un sceau qui m'empêche de déployer mon pouvoir, ce qui expliquerait également pourquoi ils ont mis tant de temps à me trouver. Elle a aussi partagé quelques souvenirs de ma mère lorsqu'elle visitait le royaume de l'eau. D'après elle, c'était une dame à l'aura écrasante.

J'ai également donné ma démission à mon entreprise et à Gary, qui était très étonné. Il m'a posé beaucoup de questions et j'ai dû inventer que je partais en voyage... ce qui n'est pas tout à fait faux, mais je ne reviendrai probablement jamais.

Toute la semaine, je n'ai presque pas croisé Côme. Quand je suis seule près du lac je sens pourtant son regard sur moi, sûrement pour verifier que je me plie bien a mes tâches. Et tous les jours je me torture a choisir si je dois parler à Séraphine de mes rêves, ou tout garder pour moi... car depuis leur arrivée, mon sommeil est plus agité que d'habitude. Peut-être que ma mère essaie de communiquer avec moi...mon esprit est perdu, mon corps ne le suis plus, du moins. J'ai besoin de sortir de cette maison de respirer.

Je croise Clovis qui range les épées dans le coffre du salon. Saisissant l'opportunité, je décide de lui demander une faveur. Après avoir passé du temps en leur compagnie, j'ai commencé à cerner leurs personnalités. Malgré son autorité durant les entraînements, il est très à l'écoute et essaie de comprendre les problèmes, ce qui me laisse espérer qu'il pourrait répondre favorablement à ma requête.

— Clovis ? J'approche prudemment.

— Oui, dis-moi ? Il vient de fermer le coffre.

— Vous avez mis en place une protection autour de la maison pour me protéger, et je vous en suis reconnaissante. Mais, serait-il possible de me promener un peu dans le village ? Je commence à étouffer ici, j'ai besoin de voir autre chose que les murs de cette maison... Mes mots sortent hésitants, trahissant mon incertitude.

Clovis plisse les yeux et ses épaules tombent légèrement, ses cicatrices lui donnant un air encore plus féroce, bien qu'une douceur sous-jacente transparaisse.

— Je comprends ton besoin de t'évader, mais je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. Nous ne pouvons pas risquer qu'une autre créature t'attaque. Je vais en parler avec Séraphine, car nous ne voulons pas non plus te retenir contre ta volonté. Dès son retour, je lui en parle, d'accord ? Il me tape gentiment l'épaule avant de reprendre son rangement.

— Merci, Clovis, dis-je en lui offrant un sourire en coin, bien que je sache que ma demande risque d'être refusée.

Cherchant un peu d'air, je me dirige vers le lac avec un livre en main, mais je m'arrête net en voyant que l'endroit est déjà occupé. Côme est là, allongé, absorbé lui aussi par un livre.

Je fais demi-tour pour retourner à ma chambre, mais il m'interpelle avant que je puisse m'échapper.

— Tu peux rester, j'ai terminé ici. Côme se relève.

Il impose une présence à la fois froide et séduisante, ce qui perturbe mes pensées. Je décide de briser la glace.

— Côme, pourquoi ne m'entraînes-tu plus ? Je sens mon cœur s'accélérer sous son regard intense.