Le Prince et la sorcière rouge

Chapitre 3 : La requête de Daemon

Ethel prit une poignée de bois séchée et elle les jeta d'un geste las dans le foyer qui se mit à crépiter de plus belle. Cela faisait déjà un an qu'elle se trouvait à Port-Réal et la toute nouvelle confrérie qu'elle venait de rejoindre n'avait jusque-là rien trouvé de mieux comme tâche à lui confier que celle de surveiller en permanence à ce que les flammes du R'hllor ne s'éteignent jamais. Les prêtresses rouges occupaient un petit bâtiment d'allure misérable dans les bas-quartiers de la cité. On était bien loin de la grandeur de Volantis, mais le culte préférait rester discret pour l'instant.

Dès son arrivée, celles qui étaient présentes à Port-Réal depuis un certain temps avaient prévenue Ethel : les sorcières rouges n'étaient pas les bienvenues dans la ville et elles étaient tolérées tant qu'elles ne causaient aucun problème. La Foi des Sept avait été vivement ravivée depuis que la Reine Alicent et son père, Otto Hightower, siégeaient sur le trône de fer en assurant le remplacement du roi Viserys, qu'on disait rongé par la maladie. L'étoile à sept branches se trouvait partout en ville, même dans les quartiers les plus pauvres, et les prêtresses rouges étaient moquées par les habitants.

Elles étaient une dizaine à vivre dans le temple, mais le culte n'envoyait que peu d'argent pour subvenir à leurs besoins et celles qui demeuraient là devaient donc avoir recours à certains subterfuges pour s'assurer de survivre. La plupart des filles, d'une beauté particulière, comptaient sur de riches mécènes pour s'acheter les plus beaux tissus pour confectionner leurs robes rouges et pour payer leurs maquillages extravagants. Trop timide et peu assurée pour tenter de séduire un riche homme de Port-Réal, Ethel se débrouillait avec ce qu'elle trouvait et elle gagnait un peu d'argent en pratiquant l'art de la guérison par le feu. C'était une compétence peu prisée par le culte et ses sœurs ne manquaient pas de la railler à ce propos. Ethel avait décidé de les ignorer et elle préférait vivre en utilisant ses maigres talents de magicienne plutôt que de son corps.

Au bout d'un certain temps, elle commença à acquérir une certaine réputation dans les bas-quartiers, puis on vint la demander pour soigner des marchands de plus en plus fortunés. Le rituel de guérison qu'elle pratiquait était long et douloureux pour le patient, mais celui-ci en ressortait inévitablement guéri. Sa réputation ne tarda pas à parvenir aux oreilles les plus hauts placées à Port-Réal et, alors qu'Ethel était un jour occupé à lire un manuscrit à la lumière des flammes du feu sacré, un régiment de soldats du Guet portant la cape dorée se présenta à sa porte.

- Nous cherchons la sorcière rouge, déclara le plus grand d'entre eux.

- Nous sommes toutes des prêtresses de R'hllor, répondit celle qui lui avait ouvert la porte avec un regard coquin, dévoilant ses longues jambes à travers son voile rouge.

- La...guérisseuse, continua le soldat sans parvenir à cacher son trouble.

- C'est moi ! intervint Ethel en se relevant, le cœur battant. Que me voulez-vous, Messire ?

Le chevalier détacha finalement le regard des jambes nues de la prêtresse pour dévisager la jeune fille. Était-il déçu de voir qu'elle ne partageait pas la beauté de ses sœurs ou avait-il simplement pensé rencontrer une femme plus âgée au lieu d'une gamine de dix-huit ans au visage qui portait encore les rondeurs de l'enfance ?

- Le Prince Daemon souhaite vous rencontrer. Suivez-moi.

Il l'emmena sans plus de cérémonie, la faisant encadrer par les manteaux d'or qui marchèrent d'un pas vif dans les ruelles de la cité en se dirigeant vers le château qui surplombait la ville. Ethel n'avait pas vraiment le choix. Elle ne connaissait le Prince Daemon Targaryen que de réputation, qu'il avait sulfureuse, mais il semblait s'être apaisé depuis son mariage avec la Princesse Rhaenyra. Toutefois, Ethel demeurait bien loin des intrigues de la noblesse et elle n'écoutait pas les rumeurs qui se répandaient parmi les gens du peuple concernant la bâtardise des enfants de la Princesse, pourtant un jour destinés à monter sur le trône.

Que pouvait donc bien lui vouloir un Prince ? C'était déjà étonnant qu'il connaisse son nom, mais elle supposait qu'il devait souffrir de quelque mal pour faire appel à elle, probablement sur les conseils de l'un ou l'autre noble qu'elle avait eu l'occasion de soigner.

Cependant, son introduction dans la forteresse lui sembla étrange : on la fit entrer par une porte dérobée, en la dissimulant délibérément aux chevaliers en manteau blanc qui se trouvaient là. Son guide lui fit monter une série d'escalier plongés dans l'obscurité avant de finalement s'arrêter devant une lourde porte en bois. Il poussa le battant du plat de la main et celui-ci s'ouvrit dans un grincement, dévoilant une longue silhouette vêtue de cuir noir tranquillement allongée sur une chaise, les pieds sur la table.

- Ah ! Voilà donc la fameuse sorcière !

Daemon Targaryen était un grand homme intimidant aux cheveux coupés sur la nuque et au visage bien dessiné. Une longue mèche blond argent lui barrait le front et ses yeux violets détaillèrent Ethel des pieds à la tête. Elle se demanda s'il allait faire un commentaire, mais c'était tout à fait inutile, l'expression de son visage parlait pour lui.

- Bien ! déclara-t-il en claquant ses mains dans un mouvement autoritaire. Au travail, prêtresse. Le patient est par ici.

N'avait-il donc aucune manière ? Ethel affecta un air emprunté pour ne pas montrer qu'il la déstabilisait et elle le suivit à travers un nouveau dédale de couloirs qui lui fit perdre son sens de l'orientation. Ils arrivèrent enfin devant une haute porte gardée par des chevaliers qui regardèrent avec appréhension Daemon s'avancer devant eux. Un seul regard du Prince suffit pour leur faire baisser les yeux et Daemon ouvrit grand la porte en entrant dans la chambre sans aucune délicatesse.

Ethel le suivit comme si elle était son ombre, un peu inquiète de ce qu'elle allait trouver dans ces appartements. L'endroit était envahi par la fumée qui brûlait dans de grands encensoirs, mais même le parfum des plantes médicinales ne parvenait pas à dissimuler l'odeur de la mort qui régnait ici.

- Allez, dégagez ! fit Daemon avec un geste agressif vers les mestres qui se trouvaient de part et d'autre du grand lit au centre de la pièce. Et virez-moi ces maudites fumées ! On n'y voit pas à trois pas !

Effrayé par son agressivité, les mestres s'empressèrent de sortir des appartements non sans avoir jeté auparavant un coup d'œil courroucé vers Ethel qui tâcha de conserver un visage inexpressif face à leur déconsidération.

- Par ici ! l'interpella Daemon qui se penchait sur celui qui était allongé dans les draps. Venez le voir. Et faites quelque chose pour le guérir.

Ethel s'avança en balayant le sol de sa longue cape rouge et elle se pencha sur l'homme qui gisait là. Son cœur manqua un battement quand elle comprit de qui il s'agissait. Sous ses yeux se trouvait le roi Viserys Targaryen en personne.