Prologue/Part 1 : Echos du passé

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Juin 79

J'avançais depuis un moment déjà dans les rues de Rome. Tout était étrangement calme. Tout était en reconstruction. Depuis mon alcôve, il m'était parvenu les rumeurs qui affluaient sur le compte de l'empereur. J'avais demandé à ne pas être suivi. Je voulais le voir de mes yeux. Je voulais moi-même humer l'air de désolation de la ville. Tout semblait s'effriter. Les quelques centres et autres infrastructures où les habitants avaient l'habitude de se rassembler étaient pratiquement vides. Je venais de pénétrer un quartier mal famé, et pourtant aucun danger à l'horizon.

Je déambulais entre les rues, zigzaguant entre deux bâtiments trop serrés, et admirant le paysage. Un grand monument s'y dressait. Je souris à sa vue, avant de sentir mon cœur se serrer dans ma poitrine.

***

C'était ici. Ici qu'ils s'étaient connus, ici qu'il avait découvert que même la noblesse n'épargnait pas l'âme de mille tourments. C'était aussi ici, ici qu'ils avaient tous fait la rencontre de l'homme pour lequel Rome entière était endeuillée. Il leur avait tendu la main, ne voulant pas être tenu au courant de leurs crimes et de leurs déboires. Il avait mis sa vie impériale en danger le jour où il les avait croisés.

Il se souvenait aussi de ce sourire crispé et gêné arboré par le jeune homme. Un sourire mélancolique, morne et terne. Un sourire chaleureux, et nullement apeuré. Il s'était senti décontracté la première fois où les iris du jeune homme avaient croisé les siens. Et il y avait aussi cette flamme qui dansait dans ses pupilles sombres. Les cheveux du jeune homme étaient aussi noirs que la nuit. Seul son teint pâle leur avait permis de le reconnaître malgré la pénombre.

Il se souvint aussi de la peur qui les avait eux-mêmes paralysés. Que faisait l'héritier dans un endroit comme celui-ci? Ces parties de Rome appartenaient aux esclaves, et les nobles n'y venaient qu'avec la conviction d'acquérir des hommes à leur service. Il se souvint aussi que la nouvelle avait fusé dans tout Rome, annonçant que l'empereur Claude avait adopté le fils de cette femme, cette femme méprisée même par eux qui n'existaient pas aux yeux de la royauté. Eux qui étaient au plus bas niveau de la chaîne alimentaire. Celle qui s'était laissée aller à des actes incestueux avec son propre frère, l'ignoble Caligula.

Un fils que lui-même avait considéré comme un bâtard rêvant de pouvoir. Mais voir ce pauvre garçon devant lui, lui proposant de l'aider à s'enfuir alors qu'il allait être condamné s'ils l'avaient pris... ; il s'était senti défaillir. Romulus, Arris, Cairn et lui-même étaient restés sur place. Ils étaient des esclaves. Ils appartenaient à un riche praticien et ne devaient aucunement se familiariser avec le futur empereur.

À cette époque-là, jamais Cornelius n'aurait pensé qu'il deviendrait aussi proche de celui qui était jadis l'héritier dont parlait tout Rome, le potentiel futur empereur. Et jamais il n'aurait pensé être affranchi. Car oui, le petit Lucius l'avait affranchi, lui ainsi que Romulus et tous les autres. Il les avait réconciliés avec la vie, il leur avait tous donné un nouvel espoir.

Ses pensées dérivèrent une fois encore tandis qu'il se dirigeait vers la sortie du petit village. Il continua sa marche. Rome avait bien changé. Lui aussi d'ailleurs n'était plus le petit esclave, il était devenu un riche marchand. Pas aussi riche que ceux des classes aisées, mais il avait une vie humble et digne. Il avait une famille, des esclaves aussi. Quelle ironie. Et son pauvre cœur pesait sur sa poitrine en songeant que son sauveur avait péri de la plus pénible des façons. Sans plus d'égard qu'un animal de foire. Il ne pouvait rien y faire. Il n'était personne. Nul ne se souvenait de lui. L'histoire, elle-même n'avait-elle pas renié son implication dans la vie de l'Empire? Il soupira, non pas d'agacement, mais de résignation. Il n'en pouvait plus. Tous ces souvenirs qui le submergeaient semblaient vouloir lui faire perdre pied. Il ne sombrerait pas. Mais il souffrait intensément. Le petit prince n'était plus. Car c'est ainsi qu'il l'avait surnommé... Petit prince.

L'héritier DomitiusOù les histoires vivent. Découvrez maintenant