Chapitre 1 : Les Ombres de la Côte

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C'était l'année 1943, et l'Europe entière était plongée dans le chaos. Depuis trois ans déjà, la France vivait sous l'occupation allemande, et même ce coin reculé de la Bretagne n'échappait pas à la réalité oppressante du conflit. Les hommes du village étaient partis, mobilisés pour une guerre dont on ne voyait pas la fin, laissant derrière eux des femmes et des enfants qui luttaient pour maintenir une normalité dans ce monde bouleversé. Les Allemands patrouillaient les côtes, rappelant à chaque instant la menace omniprésente.

Les vagues de l'Atlantique s'écrasaient contre les falaises de granit, leur rugissement constant un écho du tumulte intérieur de Jeanne. Elle se tenait là, sur le promontoire, observant l'horizon brumeux, comme si elle pouvait y trouver des réponses à des questions qu'elle n'osait même pas formuler. Le vent frais de Bretagne soulevait légèrement ses cheveux châtains, créant un contraste saisissant avec ses yeux verts, aussi profonds que les eaux qui s'étendaient devant elle.

Le village de Plouvenez, niché entre les falaises escarpées et les landes battues par les vents, avait toujours été un lieu où le temps semblait s'écouler plus lentement. Les maisons en pierre, aux toits de chaume et aux volets bleus, s'alignaient le long de ruelles étroites où l'odeur du sel marin se mêlait à celle du pain frais. Autrefois paisible et isolé, Plouvenez avait vu sa quiétude bouleversée par l'ombre grandissante de la guerre. Malgré les patrouilles allemandes, le village gardait une certaine douceur, une chaleur fragile que les habitants s'efforçaient de préserver.

Jeanne n'attirait pas les regards par sa taille, qui était petite, ni par une beauté évidente. Ce qui marquait chez elle, c'était une présence discrète, presque effacée, qui la rendait insaisissable. Ses lunettes rondes, qu'elle portait par nécessité plus que par choix, lui donnaient un air réfléchi, accentuant une réserve naturelle qui la distinguait des autres jeunes de son âge. Ses gestes étaient mesurés, comme si elle craignait de déranger l'air autour d'elle, et son visage, bien que souvent sérieux, laissait parfois transparaître une intensité qui surprenait ceux qui prenaient le temps de la regarder vraiment.

Dans ce cadre troublé par la guerre, Jeanne évoluait en marge, observant plus qu'elle ne participait, mais toujours attentive, comme si chaque détail comptait. 

Depuis quelques mois, le village de Plouvenez avait vu son paysage humain changer de manière drastique. Des étrangers arrivaient par vagues, épuisés, terrifiés, portant avec eux les stigmates d'une guerre qui se rapprochait de plus en plus. Ces hommes et ces femmes étaient pour la plupart des réfugiés, fuyant l'horreur qui se répandait sur le continent, des familles déchirées par la violence et le deuil.

Certains arrivaient seuls, après avoir perdu leurs proches en chemin, les visages creusés par la faim et le chagrin. D'autres, des familles encore unies malgré tout, tentaient de préserver une normalité impossible, même en pleine fuite. Parmi eux, il y avait de nombreux Juifs, cherchant désespérément à échapper aux rafles qui sévissaient dans les grandes villes. On racontait que certains enfants avaient vu leurs parents abattus sous leurs yeux, d'autres avaient été séparés de force, les cris résonnant encore dans les mémoires de ceux qui avaient survécu.

Jeanne les observait de loin, le cœur serré par la douleur qu'elle percevait dans leurs regards. Elle se tenait toujours à l'écart, n'osant jamais s'approcher, de peur de se retrouver emportée dans leur tragédie. Elle préférait rester dans l'ombre, invisible, à l'abri de l'attention et du poids des histoires terribles que ces réfugiés portaient avec eux. Mais parmi ces visages marqués par la souffrance, il y avait un sourire qu'elle ne pouvait ignorer.

Marie, une jeune fille juive de son âge, était arrivée au village avec son petit frère quelques semaines plus tôt. Malgré les épreuves qu'elle avait traversées, Marie avait cette énergie vive, cette lumière intérieure qui semblait défier la noirceur de leur époque. Jeanne l'avait rencontrée par hasard, au marché, et très vite, un lien s'était tissé entre elles. Marie, avec son franc-parler et son esprit curieux, avait une manière bien à elle de percer les défenses de Jeanne, l'encourageant à sortir de sa réserve.

Sous le Manteau de la GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant