Le lendemain matin, les premiers rayons d'un soleil hivernal peinaient à percer à travers les épais rideaux de la chambre de Jeanne, projetant des ombres grises sur les murs dénudés. L'air de la pièce était glacial, l'hiver ayant réussi à s'infiltrer malgré les couvertures et les tentures. Jeanne était restée allongée des heures durant, incapable de trouver le sommeil, les pensées tourmentées par les événements de la veille. Ses yeux, rougis et cernés, témoignaient des larmes versées tout au long de la nuit. Chaque battement de son cœur semblait envoyer une vague de douleur à travers son corps épuisé.
Lorsque le chant lointain d'un coq annonça l'aube, elle comprit que le temps des hésitations était terminé. Avec une lenteur douloureuse, Jeanne se redressa, ses membres lourds et endoloris par le manque de repos. Le froid mordant qui régnait dans la pièce la fit frissonner, mais ce n'était rien comparé au poids qui accablait son cœur. Elle se tenait là, dans le silence oppressant de la matinée naissante, luttant pour trouver la force de quitter son lit. Ses mains, tremblantes, effleurèrent les draps, ressentant leur texture rugueuse, un rappel de la dureté de sa réalité.
Se levant enfin, elle s'approcha du miroir qui se trouvait sur une commode usée par les années. Le reflet qu'elle y découvrit ne lui était presque plus familier. Ses joues autrefois rosées étaient maintenant pâles, marquées par la fatigue et la douleur. Ses lèvres, fines et sèches, tremblaient légèrement, tandis que ses yeux, habituellement pétillants, étaient ternes, presque vides. La Jeanne qu'elle voyait dans le miroir n'était plus la jeune femme pleine de vie qu'elle avait été autrefois. Elle se sentait comme une coquille vide, son esprit ravagé par les épreuves et les choix impossibles qui s'imposaient à elle.
Après un moment à fixer ce reflet, comme pour y chercher un espoir qu'elle savait inexistant, Jeanne détourna les yeux avec résignation. Elle passa un peigne dans ses cheveux en désordre, mais sans y prêter vraiment attention. Chaque geste lui coûtait un effort monumental, comme si même les tâches les plus simples lui étaient devenues insurmontables.
En s'habillant, Jeanne choisit instinctivement des vêtements sombres, une robe noire simple, reflétant l'état de son âme. La robe glissait sur sa peau froide, accentuant la sensation de vide qui l'habitait. Elle s'enroula dans un châle épais, plus pour se protéger du froid intérieur que du froid extérieur. Ses mouvements étaient lents, mécaniques, comme si elle agissait sous l'effet d'une force invisible qui la contraignait à avancer.
La maison était plongée dans un silence pesant alors qu'elle descendait les escaliers, chacun de ses pas résonnant lourdement dans l'espace vide. Les marches grinçaient sous son poids, un bruit qui semblait résonner bien au-delà des murs, comme un écho de sa propre souffrance. La descente vers la cuisine lui parut interminable, chaque marche franchie l'enfonçant un peu plus dans une réalité qu'elle ne voulait pas affronter.
En atteignant le bas des escaliers, Jeanne s'arrêta un instant, prenant une grande inspiration pour essayer de se préparer à la confrontation inévitable. Son cœur battait lourdement dans sa poitrine, chaque battement amplifiant le malaise qui l'envahissait. Elle pouvait déjà sentir la présence de son père, même sans l'avoir encore vu. Sa simple pensée suffisait à déclencher en elle un mélange de crainte et de résignation.
Lorsqu'elle entra finalement dans la cuisine, la scène qui l'accueillit ne fit qu'accentuer le sentiment de fatalité qui pesait sur elle. La pièce était à peine éclairée par la lumière blafarde du matin, se faufilant à travers les fenêtres couvertes de givre. Les murs de pierre, habituellement chaleureux, semblaient aujourd'hui froids et austères, comme si même la maison elle-même lui tournait le dos.
Son père était déjà assis à la table, une tasse de café noir fumant devant lui. Il était droit, rigide, ses mains calleuses reposant fermement sur la table en bois. Ses traits étaient tirés, profondément marqués par les années de labeur et les épreuves de la guerre. Il ne leva pas immédiatement les yeux vers Jeanne lorsqu'elle entra, mais l'air dans la pièce se tendit instantanément. Le silence entre eux n'était interrompu que par le léger cliquetis de la cuillère dans la tasse, un son qui semblait étrangement assourdissant dans cette atmosphère étouffante.
VOUS LISEZ
Sous le Manteau de la Guerre
RomanceEn 1943, un village breton est enveloppé par la guerre et la désolation. Les jours se fondent dans un gris morne, et les cœurs sont lourds de douleur. La jeunesse du village est déchirée par l'appel au front, et les familles se battent pour survivre...