Le crépuscule enveloppait Plouvenez dans une lumière douce et dorée, teintant chaque recoin du village d'une chaleur apaisante, comme si le soleil lui-même essayait de repousser l'obscurité du monde extérieur. La mer, d'ordinaire grise et agitée, s'était transformée en une étendue d'or liquide, reflétant les derniers rayons du jour avec une douceur presque surréaliste. Les maisons de pierre, les toits d'ardoise et les chemins sinueux du village semblaient flotter dans cette lumière, un rêve éveillé où tout paraissait figé dans un moment de calme parfait.Jeanne marchait lentement, ses pas presque silencieux sur le sentier de gravier qui menait à la crique. L'air était frais, porteur de l'odeur salée de l'océan, mêlée au parfum des pins maritimes et de la terre humide. Elle serrait son châle autour d'elle, non pas à cause du froid, mais pour se réconforter, essayer de rassembler ses pensées qui s'éparpillaient comme les grains de sable sous ses pieds. Depuis quelque temps, elle avait remarqué un changement chez Henri, quelque chose de subtil mais indéniable. Ses éclats de rire, autrefois si francs, étaient devenus plus rares, et son regard, si vivant auparavant, semblait désormais souvent perdu dans une contemplation silencieuse, tournée vers un horizon invisible.
Ce soir-là, alors qu'elle approchait de la crique, elle le vit déjà assis sur le rocher qui surplombait la mer, là où ils s'étaient croisés pour la première fois. Il était immobile, ses mains serrées autour de ses genoux, comme s'il essayait de se protéger du froid ou peut-être de quelque chose de plus profond, de plus douloureux. Sa silhouette se détachait nettement contre le ciel déclinant, une ombre solitaire dans un tableau où tout, sauf lui, semblait baigné de lumière.
Henri ne sembla pas remarquer son arrivée tout de suite. Il fixait l'horizon avec une intensité presque palpable, comme s'il cherchait à percer un secret enfoui quelque part entre le ciel et la mer. Son expression, figée, trahissait une mélancolie qu'il ne laissait jamais paraître en public. La lumière dorée caressait ses cheveux blonds légèrement ondulés, les faisant briller comme des fils d'or, mais même cette chaleur semblait incapable de réchauffer le froid qui émanait de son regard.
Jeanne s'arrêta à quelques pas de lui, hésitant à briser ce moment de silence, cette bulle fragile qui semblait entourer Henri. Elle pouvait sentir le poids de ses pensées, lourdes, sombres, et une partie d'elle craignait d'entrer dans cet espace qu'il avait peut-être créé pour se protéger de tout, même d'elle.
Finalement, sans un mot, elle s'assit à côté de lui sur le rocher, leurs épaules presque mais pas tout à fait touchantes. Le silence entre eux n'était pas inconfortable, mais chargé de tout ce qui n'était pas dit, de tout ce qu'ils ne savaient pas encore comment exprimer. Le bruit des vagues qui venaient mourir sur la plage en contrebas semblait rythmer ce silence, apportant un peu de réconfort, une constance dans un monde en perpétuel changement.
« Tu sais, » commença-t-il finalement, sa voix étrangement douce dans le calme du soir, « il y a des choses qu'on essaie d'oublier, mais qui reviennent toujours, même quand on fait de notre mieux pour les enterrer. »
Jeanne tourna doucement la tête vers lui, attendant qu'il continue, sentant que ce moment était différent, plus intime, plus fragile.
Henri prit une profonde inspiration, ses yeux marron brillants d'une tristesse contenue.Henri baissa les yeux, jouant distraitement avec un caillou qu'il tenait dans sa main. Sa voix était presque un murmure, mais chaque mot résonnait avec une clarté douloureuse dans l'air calme du soir.
« Le jour où j'ai perdu mon père... c'était comme si le temps s'était arrêté, » commença-t-il, sa voix tremblant légèrement. « Les Allemands sont venus chez nous, froids, méthodiques. Ils ont annoncé la nouvelle avec une indifférence qui m'a glacé le sang, comme si la mort de mon père n'était qu'une tâche parmi tant d'autres, un devoir administratif à remplir. »
VOUS LISEZ
Sous le Manteau de la Guerre
RomanceEn 1943, un village breton est enveloppé par la guerre et la désolation. Les jours se fondent dans un gris morne, et les cœurs sont lourds de douleur. La jeunesse du village est déchirée par l'appel au front, et les familles se battent pour survivre...