Chapitre 3 : L'ombre des adieux

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Le lundi matin apporta avec lui une lumière douce, presque mélancolique, qui traversait les fenêtres de la salle de classe. Jeanne s'était assise à son pupitre habituel, les épaules voûtées, le regard distant. Tout autour d'elle, la routine reprenait son cours, les élèves bavardaient à voix basse, attendant que le professeur commence la leçon. Pourtant, pour Jeanne, le monde avait changé de manière irréversible. Elle se sentait comme une étrangère, déconnectée de la vie qui continuait autour d'elle.

Le professeur d'anglais entra, un homme d'âge moyen, sérieux et méthodique. Il salua brièvement les élèves avant de se tourner vers le tableau, où il commença à écrire quelques mots, préparant le sujet du jour. Jeanne essayait de se concentrer, mais son esprit était ailleurs, hanté par ce qui s'était passé. Le souvenir de la nuit précédente pesait lourd sur elle, comme une ombre qui refusait de se dissiper.

Alors que la leçon avançait, le professeur prononça un mot qui fit l'effet d'une détonation dans l'esprit de Jeanne : « man. » C'était un mot simple, courant, mais dans le silence de son esprit, il résonna avec une brutalité inattendue. « You're just a man... » , chaque mot lui rappelant Georges, sa cruauté, la peur qu'elle avait ressentie. La douleur qu'elle s'était efforcée de contenir éclata soudainement, irrépressible.

Les larmes montèrent à ses yeux sans qu'elle puisse les retenir. Elles dévalèrent ses joues, silencieuses mais incessantes, tandis que le monde autour d'elle s'effaçait. Jeanne se mordit la lèvre, essayant de se reprendre, mais c'était inutile. Tout le poids de ce qu'elle avait vécu s'abattait sur elle à cet instant précis, comme si ce mot, aussi banal soit-il, avait déchiré le fragile voile qu'elle avait tissé pour se protéger.

Marie, qui était assise à côté d'elle, remarqua immédiatement son trouble. Elle se pencha vers elle, l'inquiétude marquant ses traits. « Jeanne, ça va ? » murmura-t-elle, sa voix douce et pleine d'attention.

Jeanne hocha la tête rapidement, essayant de masquer sa douleur. « Oui, ça va... Juste... un mauvais rêve, » mentit-elle, sa voix tremblante. Elle ne pouvait pas dire la vérité, pas ici, pas maintenant. Le simple fait de formuler ce qu'elle avait vécu semblait impossible, comme si prononcer les mots rendrait tout cela encore plus réel.

Marie fronça les sourcils, clairement peu convaincue, mais elle n'insista pas. Elle serra doucement la main de Jeanne sous le bureau, un geste de soutien silencieux, avant de se tourner à nouveau vers le tableau. Jeanne essuya discrètement ses larmes, tentant de reprendre son souffle, de retrouver un semblant de calme. Mais le malaise était là, envahissant, et elle savait qu'il ne disparaîtrait pas si facilement.

La fin du cours arriva finalement, et les élèves commencèrent à ranger leurs affaires, pressés de sortir profiter de la pause. Jeanne se leva lentement, la tête encore lourde des émotions qu'elle venait de refouler. Elle aurait voulu se réfugier dans un coin tranquille, loin des regards, mais une agitation soudaine à l'extérieur attira son attention.

En sortant de la salle, Jeanne ressentit un frisson glacé lui parcourir l'échine en apercevant les hommes en uniforme se diriger vers la place centrale. Leur simple présence semblait charger l'air d'une gravité étouffante. Elle les observa, figée sur place, incapable de détourner le regard. Ils avaient l'air épuisés, chaque pas qu'ils faisaient semblait les rapprocher d'un effondrement imminent. Leurs visages, marqués par la guerre, portaient les traces d'une douleur que Jeanne n'arrivait pas à imaginer, et pourtant, elle la sentait presque palpiter dans l'atmosphère autour d'eux.

Les vêtements usés, les bandages qui couvraient leurs blessures, tout cela racontait une histoire de souffrance et de sacrifice. Ces hommes avaient vu des horreurs que Jeanne ne pouvait concevoir, et leur retour au village, qui aurait pu être un signe de réconfort, ne faisait que rappeler la brutalité de la guerre. Elle se sentit submergée par un mélange d'admiration et de pitié. Ils étaient revenus, certes, mais à quel prix ? Leurs visages fermés, leurs regards éteints, témoignaient de ce qu'ils avaient perdu au combat – non seulement des camarades, mais aussi une part d'eux-mêmes.

Sous le Manteau de la GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant