Chapitre 5 : L'Éclipse des Espoirs

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Le froid mordant de l'hiver s'était installé sur Plouvenez, apportant avec lui une grisaille omniprésente qui semblait pénétrer jusqu'aux os. Les jours devenaient plus courts, les nuits plus longues, et la brume persistante donnait au village un aspect lugubre et irréel. Jeanne se promenait souvent le long des chemins déserts, le regard perdu dans la distance, espérant un signe, une lettre, n'importe quoi pour apaiser l'angoisse qui la rongeait depuis plusieurs mois.

Les semaines s'étaient transformées en mois, et la communication avec Henri s'était interrompue brusquement. Les lettres qu'elle lui envoyait restaient sans réponse, et chaque jour sans nouvelles augmentait le poids de son inquiétude. Les mots qu'ils avaient échangés avant son départ semblaient maintenant appartenir à une autre époque, un souvenir d'un passé plus innocent et plus léger. Jeanne s'accrochait aux quelques paroles réconfortantes qu'ils avaient partagées, mais la douleur de l'incertitude était un fardeau de plus en plus lourd à porter.

Avec l'espoir fragile d'une lueur d'espoir, Jeanne continuait de rendre visite à la grand-mère d'Henri. La vieille dame vivait dans une petite maison en pierre, nichée à la lisière du village. Chaque fois qu'elle se rendait là-bas, elle était accueillie par un air empreint de mélancolie. La grand-mère d'Henri, bien que chaleureuse dans son accueil, semblait elle-même hantée par le silence et l'absence de nouvelles.

« Je suis désolée, Jeanne, » disait souvent la vieille femme en secouant la tête, les yeux noyés dans la tristesse. « Aucun message, aucun signe de lui. J'ai espéré, comme vous, mais la guerre nous a tous laissés dans le noir. »

Les visites de Jeanne se faisaient de plus en plus fréquentes, devenant presque une routine désespérée. Elle s'asseyait à côté de la cheminée, écoutant les crépitements du feu, en espérant que le bruit apaiserait ses pensées troublées. Mais chaque fois, elle repartait avec les mains vides, le cœur lourd et la tête pleine de questions sans réponse.

Un après-midi particulièrement glacé, Jeanne arriva chez la grand-mère d'Henri pour trouver la maison plus silencieuse que d'habitude. Les rideaux étaient tirés, et la lueur du feu semblait vaciller de façon inquiétante. La vieille dame était assise dans un fauteuil en osier, le visage plus fatigué que jamais.

« Bonjour, Madame, » murmura Jeanne, tentant de masquer sa préoccupation. « Comment allez-vous aujourd'hui ? »

La grand-mère d'Henri leva lentement les yeux vers elle, un sourire triste sur les lèvres. « Bonjour, Jeanne. Je vais aussi bien que possible. Je crois que je commence à accepter le fait que nous ne recevrons plus de nouvelles. La guerre, elle prend tout ce qu'on a de précieux, n'est-ce pas ? »

Jeanne hocha la tête, ses yeux remplis de larmes non versées. La conversation s'engagea sur des sujets plus légers, mais l'absence d'Henri était toujours présente en filigrane. La grand-mère parla de temps plus simples, des jours où le monde semblait plein de promesses, de la douceur des souvenirs qui, désormais, semblaient presque trop douloureux à évoquer.

Lorsque Jeanne rentra chez elle ce soir-là, le froid avait pénétré jusque dans ses os, mais c'était le poids de l'absence qui la rendait vraiment glaciale. La maison, silencieuse, semblait encore plus vide. Minou, son chat gris, vint se frotter contre elle, apportant un peu de chaleur dans la froideur ambiante. Elle se laissa tomber dans un fauteuil près de la cheminée, se perdant dans ses pensées, les mots de la grand-mère d'Henri résonnant dans son esprit.

Les nouvelles étaient devenues rares, les espoirs plus ténus. La vie à Plouvenez se poursuivait dans une routine de tristesse et de résignation. Les jeunes hommes étaient partis, les familles étaient dévastées, et chaque jour semblait apporter une nouvelle vague de douleur et d'incertitude.

Un soir, alors que Jeanne feuilletait un vieux journal, elle trouva un article au sujet des nouvelles restrictions imposées aux Juifs. Elle était bouleversée par la description détaillée de l'étoile jaune, un symbole cruel imposé aux Juifs pour les marquer et les isoler. Les mots du journaliste étaient chargés d'une froideur déshumanisante, décrivant l'étoile comme une "marque de honte" et "un signe visible de déchéance".

Le lendemain, une nouvelle horrible arriva : Marie et sa famille avaient été dénoncés aux autorités SS. Jeanne reçut la nouvelle par le biais d'un voisin qui avait entendu des rumeurs inquiétantes. La terreur se répandit comme une traînée de poudre dans le village, et la communauté resta paralysée face à la cruauté des événements. La douleur et la honte étaient palpables dans chaque coin du village.

Le jour où Marie fut emmenée, le village tout entier se réunit sur la place publique. Jeanne assista, pétrifiée, à la scène atroce où Marie, enchaînée et battue, était exposée devant la foule. Les cris de douleur et de colère se mêlaient au murmure de la foule. Jeanne, impuissante, regardait sa chère amie souffrir, son cœur brisé par la brutalité du spectacle.

À la fin de la journée, le silence retomba sur Plouvenez comme une chape de plomb. Jeanne rentra chez elle, le cœur lourd et l'esprit tourmenté. Minou, toujours présent, se blottit contre elle alors qu'elle se mettait au lit, essayant de trouver un réconfort dans la présence silencieuse de son compagnon à quatre pattes. Les pensées de Marie, de Henri, et des jours sombres à venir hantaient ses rêves.

Le temps semblait suspendu dans l'attente de nouvelles, et la guerre continuait de faire des ravages, emportant avec elle les espoirs et les rêves de tous ceux qui restaient derrière. Jeanne se battait pour maintenir une lueur d'espoir dans ce monde devenu si sombre, mais la réalité semblait toujours plus dure, plus implacable. La tristesse et la douleur faisaient partie intégrante de son quotidien, et elle se demandait si elle pourrait un jour retrouver la paix, même si, pour l'instant, l'avenir semblait totalement incertain.

Ce soir-là, alors qu'elle s'allongeait dans son lit, Jeanne essaya d'écrire une lettre à Henri. Elle ne savait pas ce qu'elle pouvait dire, ce qu'elle pouvait demander. Les mots semblaient si insuffisants face à l'horreur de ce qu'elle avait vécu et ce qu'elle vivait encore. Elle écrivit avec des larmes tremblantes, essayant de trouver du réconfort dans l'espoir que sa lettre pourrait parvenir à Henri, où qu'il soit.

Ses pensées vagabondèrent alors à Marie, sa meilleure amie, maintenant emmenée dans un lieu de souffrance incommensurable. Elle se demandait si Marie était encore en vie, si elle avait reçu une once de compassion dans ce camp de concentration impitoyable. Le désespoir était une ombre constante dans sa vie maintenant, et l'absence de nouvelles de Henri n'arrangeait rien.

Les jours suivants furent marqués par une intensité de désespoir et de solitude. Jeanne, le visage marqué par la fatigue et la tristesse, continuait à vivre dans l'ombre de ces événements tragiques. Elle se battait chaque jour pour garder espoir, pour ne pas céder à la tourmente intérieure, même si chaque aspect de sa vie semblait rongé par la guerre.

La vie à Plouvenez continuait d'être marquée par la terreur et la répression. Le village semblait être un endroit où le temps s'était arrêté, où la douleur et la perte étaient devenues la norme. Jeanne essayait de s'accrocher aux petites étincelles d'espoir qu'elle pouvait trouver, aux sourires éphémères, aux moments de solidarité qui persistaient malgré tout.

Les lettres à Henri devenaient une forme de thérapie, un moyen pour elle de garder une connexion avec quelqu'un qui partageait sa douleur et son désespoir. Elle espérait que chaque mot, chaque phrase, pourrait transcender la distance et la tragédie, et lui offrir un réconfort, même minime.

Jeanne se battait chaque jour pour préserver une étincelle d'humanité dans un monde devenu sombre et cruel. Elle était déterminée à rester forte, non seulement pour elle-même mais aussi pour ceux qu'elle aimait et pour Marie, dont la souffrance avait réveillé une force en elle qu'elle n'avait jamais su posséder. Dans les moments de calme, quand la nuit s'étendait sur le village, Jeanne se promettait de faire tout ce qu'elle pouvait pour continuer à espérer, même lorsque tout autour d'elle semblait se désintégrer.

Sous le Manteau de la GuerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant