Chapitre 1 : Eva

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— Où est ma crème ?

— Laquelle ? me lance ma mère d'un air moqueur. Crème de jour ? de nuit ? anti-rides ? pour les mains ? pour les hémorroïdes ?

Comme si on pouvait avoir des rides à vingt-quatre ans !

— Ma crème solaire maman.

Je lève les yeux assez haut et souffle fort, pour donner un air vraiment dramatique à cette scène.

— Comme si toi, Eva Trust, tu allais te tartiner de crème à la plage.

— Moi, non. Mais un charmant jeune homme, oui.

Je lui tourne le dos et m'efforce de mettre la main sur le tube bleu et jaune qui me donnera une bonne excuse pour approcher la gente masculine. Entre nous, je n'ai pas besoin de ça. Avec mon mètre soixante-douze, mes longs cheveux châtain et yeux bleus entourés de longs cils, je ne mets pas bien longtemps à aborder les mecs.

— Je croyais que c'était des vacances entre filles.

J'aime ma mère, de tout mon cœur. Mais comme tout bon parent qui se respecte, elle se met des œillères. Bien-sûr que nous partons entre copines, à l'autre bout de la planète pour découvrir des paysages merveilleux, des plages époustouflantes. Faire des balades touristiques, prendre des photos des plus beaux monuments du pays. Mais en réalité, nous avons pris des billets pour l'île de Milderà au nord de l'Espagne. Une semaine de fête au bord de la mer, avec mes meilleures amies. L'année a été longue, et les examens de fin d'année ont bien failli avoir notre peau. Ajoutez à ça une rupture avec le plus idiot des mecs, j'ai nommé : Théo Duncan.

Grand, athlétique, beau à s'en décrocher la mâchoire mais un enfoiré notoire. Pour lui, relation rime avec multiplication. Une copine ? Pff trop peu. Plusieurs à la fois, c'est mieux. J'étais la copine officielle, celle qu'il "montrait" aux soirées, affichait sur les réseaux sociaux. Mais les soirs de match, il prétextait fêter la victoire de son équipe de football alors qu'il s'envoyait en l'air avec la première greluche qui venait le supporter. Je n'y ai vu que du feu pendant trois mois, jusqu'à ce qu'une des filles se vante d'avoir couché avec lui. Quel sombre crétin. J'espère au moins qu'une de ces nanas lui refilera une MST.

— Ah voilà !

Je brandis le tube de crème comme un trophée. Je le lance sur la pile de vêtements qui dépasse de ma valise. Prochaine étape : fermer cette dernière de gré ou de force.

— Éva chérie, tu as vraiment besoin d'autant de vêtements ? Il doit bien y avoir des lavomatiques là-bas ?

Je l'adore. Comment lui dire sans l'inquiéter que je compte dormir la journée et vivre la nuit ? Je n'aurai pas le temps de faire la lessive. J'aurais à peine le temps de me rappeler quel jour on sera, trop occupée à faire la fête pour me vider l'esprit

— Maman, les vacances, c'est se soucier de rien pour profiter un maximum. Pas de vaisselles, pas de courses, pas de lessives.

Son regard azur me transperce. J'habite encore chez elle et j'avoue que je ne fais pas beaucoup de corvées. Je remplis le lave-vaisselle de mes assiettes et couverts sales, je ne laisse rien traîner. Je plie soigneusement mes affaires une fois sorties du sèche linge. Je trie par couleur du plus clair au plus foncé. Alors oui, ça ne changera pas de mon quotidien, mais je vais pouvoir faire la fête sans avoir peur d'être fatiguée le lendemain.

— Tu seras tranquille en rentrant du bureau.

Je lui dépose un baiser sur le front et m'active dans la salle de bain. Je rassemble mon maquillage et autres produits nécessaires. Oublier ma brosse à dents ? Inenvisageable ! Mon déodorant ? Mon meilleur ami. Mon vanity rejoint la pile de vêtements beaucoup trop haute pour ma si petite valise. J'essaye de fermer le zip et tente de l'aplatir un maximum, un genou appuyé dessus.

— Lilio arrive demain soir. Il va rester tout le temps de ton séjour avec tes amies.

Mon corps se fige, la pression exercée par mon genou se relâche et je manque de tomber en arrière quand ma valise s'ouvre d'un coup sec.

— Éva chérie, tu ne le croiseras même pas, pourquoi tu es toute crispée ?

Elle a raison. Mon avion décolle à 10h. Le père de Nélia nous y dépose toutes. Il possède une société de taxis disco. Faire la fête tout en se rendant d'un point A à un point B. Un pur génie. Et l'instinct de survie de Lilio le poussera à repartir bien avant mon retour.

Je ne l'ai pas vu depuis trois ans. Depuis cette soirée qui a marqué un tournant dans notre vie à tous. J'aurais aimé être aussi forte que lui et poursuivre ma vie comme si de rien n'était. Mais voilà, ce qui nous différencie c'est bien ça. J'ai un cœur, et pas lui. Personne n'abandonne ses proches après un drame. Sauf lui.

Tout d'un coup, ma vision du sable chaud et des cocktails au bord de l'eau se brouille. Mes mains deviennent moites, des fourmis remontent le long de mes jambes, mon cerveau émet un vrombissement assourdissant.

— Éva ? Éva !

La voix de ma mère n'est déjà plus qu'un lointain murmure. J'entends le bruit de mon corps qui tombe au sol. Et puis c'est le trou noir.

Soleil couchant, coquillages nacrés et amour fou.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant