Chapitre 3 : Eva

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 Tout se passe à merveille jusque-là. Le trajet jusqu'à l'aéroport JFK en disco-taxi s'est déroulé dans une ambiance festive. Nélia, Lucie, Manon et moi, lunettes de soleil sur le nez et coupe de mimosa à la main, telles des stars en route pour leur jet privé. Nous sommes entrées dans l'aéroport, bras dessus, bras dessous, déterminées à passer les meilleures vacances de notre vie.

En entrant dans le hall de l'aéroport, nous sommes accueillies par un vaste espace baigné de lumière naturelle. Le plafond en verre laisse filtrer les rayons du soleil, illuminant les sols en marbre blanc immaculé. Les passagers vont et viennent, leurs voix se mêlant dans un bourdonnement constant, tandis que des panneaux lumineux indiquent les prochains départs. Des boutiques de luxe et des cafés élégants bordent les allées principales, offrant un contraste frappant avec l'agitation des voyageurs pressés. Une odeur de café fraîchement moulu flotte dans l'air, ajoutant une touche de chaleur à cet environnement moderne et épuré.

En voyant la courte file d'attente pour l'enregistrement de nos bagages, nous sommes soulagées.

— S'il nous reste un peu de temps, on pourrait flâner dans les boutiques de l'aéroport. On n'a pas prévu d'acheter de souvenirs sur place, autant le faire ici.

Lucie sautille sur place comme une enfant. Elle est plus petite que nous toutes, mais à mes yeux, c'est elle la plus mature. Sa mère l'a abandonnée alors qu'elle n'était qu'un bébé, et elle n'a jamais connu son père. Ses grands-parents maternels l'ont élevée. Dès ses dix-huit ans, elle a travaillé pour les aider à couvrir les dépenses du quotidien et payer ses études à l'université. Elle a réussi ses examens en étant major de promo, tout en travaillant vingt heures par semaine dans un bar au centre de Manhattan. Ce petit bout de femme, aux cheveux noirs attachés en une fine queue de cheval et aux yeux verts perçants, est impressionnante.

— Calme-toi, si tu claques tout ton argent ici, tu ne pourras plus te payer de cocktails à siroter au bord de la mer, je lui lance avec un large sourire.

Elle ricane et s'assoit sur sa valise en attendant son tour. Manon dépose la sienne sur le tapis roulant et suit le labyrinthe de cordes pour nous attendre un peu plus loin, un grand sourire aux lèvres.

— Bonjour, billet s'il vous plaît.

Je le lui tends après l'avoir gratifiée d'une salutation guillerette. Chaque étape de ce voyage me met en joie car elle me rapproche un peu plus de notre destination. Mais le sourire pourtant si étincelant de la femme derrière son ordinateur s'éteint. Ses lèvres se pincent, et je vois l'ombre d'une ride se former entre ses deux yeux. Cela ne dure que deux secondes, puis elle se reprend.

— Je crains qu'il n'y ait eu une petite modification sur votre placement, Madame Trust.

— Qu'est-ce que vous entendez par "il y a eu une petite modification" ?

La femme devant moi se tortille, mal à l'aise. Sa tenue bleu-vert et son chignon tiré à quatre épingles perdent de leur superbe face à sa décomposition.

Je ne suis pas une personne malchanceuse. Comme tout le monde, j'ai eu des moments de poisse. Un bus qui passe sur une flaque trop proche du trottoir : pour moi. La crotte de chien fraîche camouflée dans l'herbe humide du matin : pour moi. Le bouton d'acné sur le nez le jour de la photo de classe : pour moi. Rien de bien méchant, des anecdotes rigolotes que j'ajoute systématiquement à ma collection. Alors, quand la guichetière m'annonce une modification sur mon billet, je pense d'abord à une blague.

— C'est rare, mais ça arrive. Il semblerait que votre place initiale ait été... changée pour une autre.

Ça recommence, vision trouble, mains moites, picotements, fourmillements.

Soleil couchant, coquillages nacrés et amour fou.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant