Chapitre 5 : Eva

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J'ai fait une sieste beaucoup plus longue que prévu. À mon réveil, ma tête est posée contre le hublot, ma bouche est ouverte et un long filet de bave s'en échappe. Il me faut de longues secondes pour me souvenir que je suis dans un avion, à des milliers de kilomètres du sol. Je m'étire tel un chat et remets en place mon chignon défait par mon sommeil improvisé.

- Aurore s'est réveillée.

Nélia étouffe un rire. C'est le surnom qu'elle m'a donnée, car je suis de ses personnes qui s'endorment partout, tout le temps. Selon elle, je porte à merveille le nom de la Belle au bois dormant. Sauf qu'aucun prince ne vient jamais me réveiller avec un doux baiser.

- Les princesses ne ronflent pas. A moins que ça soit Fiona.

Je me tourne vers mon cher voisin. Un sourire se dessine au coin de ses lèvres et laisse découvrir une fossette qui lui donne un côté sexy. Il a enlevé son bonnet malgré l'air très frais à l'intérieur de l'avion. Ses cheveux sont un tas d'épis, mais à y regarder de plus près, ils ont l'air doux et soyeux. Un pique de Lucie me sort de ma contemplation inappropriée.

- Ça se tient, elle ne sort qu'avec des Shrek.

- Lucie ! Un peu de solidarité s'il te plait.

Je m'apprête à remercier Manon quand elle s'empresse d'ajouter :

- Le dernier en date était un vrai abruti. Mais qui sait, le soleil espagnol la transformera sûrement en une princesse qui trouvera chaussure à son pied.

Aïe, ça fait mal. Mais elles n'ont pas tort. J'ai le chic pour ne choisir que des mecs qui ne me correspondent pas. Théo a été le pire de tous. Me remettre de notre rupture a été plus difficile que je ne le pensais, sûrement parce qu'il m'a blessé dans mon égo. Mais je l'ai assez détesté pour passer à autre chose. Je suis un cœur à prendre, bien que des vacances au soleil ne soit pas l'idéal pour trouver le grand amour. Les amourettes de vacances ? Très peu pour moi. J'ai besoin de vivre les choses pleinement et sur le long terme si possible.

- Les princesses sont superficielles. Essayez d'être vous-mêmes pour changer, vous éloignerez les idiots attirés que par le physique des demoiselles en détresse.

Mes amies et moi nous regardons, abasourdies par la réplique d'Ethan. Quel sale caractère !

- Qui êtes-vous pour nous juger ? Vous ne nous connaissez même pas !

La rage me monte à la tête, mes joues s'embrasent. Nélia me fait de grands gestes pour me supplier de me taire. Une chose qu'elle a oubliée, je me réveille toujours de mes siestes en étant grognon.

- Vous regardez des films à l'eau de rose débiles et vous lisez des magazines people. Je continue ?

- On peut aimer ce genre de choses et ne pas être superficielles. Par contre ce qui est sûr, c'est que porter un jugement aussi hâtif fait de vous un gros...

- Eva !

Lucie dans sa grande sagesse a réussi à me stopper avant de dépasser les limites du raisonnable. Je déteste les personnes qui se permettent de juger au premier regard. L'étiquette de jolie fille que je me traîne depuis le lycée est une vraie tare. J'ai conscience qu'on ne me prend pas au sérieux comme je le voudrais, et je n'attire pas non plus les bons garçons. Néanmoins j'ai des sentiments comme tout le monde, et surtout, je manque cruellement de confiance en moi.

- Susceptible avec ça. Tout pour plaire, vraiment.

Sa fossette apparaît à nouveau. Il se tourne vers moi et enlève ses écouteurs. Était-il vraiment en train de nous en mettre plein la poire en continuant de regarder son film ? Incroyable ce toupet !

Ses yeux bleus intenses me fixent à nouveau. Je me ratatine sur mon siège, mais hors de question qu'il s'en rende compte. Je bombe le torse et croise les bras sur ma poitrine dans un air défi.

- Je n'ai pas besoin de vous plaire à vous, vous n'êtes vraiment pas intéressant.

- Alors arrêtez de me fixer comme vous le faites.

L'échange est chargé d'électricité, il y a de la tension dans l'air. Mes amies se sont tues, intriguées par notre duel. Le défi dans ses yeux me brûle peau. Je me demande si je suis prête à m'engager dans ce jeu, ou si je préfère retourner à mes pensées ennuyeuses. Mais une petite voix au fond de moi chuchote que ce serait peut-être amusant de jouer un peu avec le feu.

- J'essaye de savoir pourquoi vous êtes autant désagréable. Votre physique me laisse indifférente.

Je mens, mais il ne me connaît pas assez pour le savoir. Mon nez tressaute quand un mensonge sort de ma bouche, c'est incontrôlable. Mes amies, elles, peuvent le voir. En réalité, plus je le regarde, plus je le trouve... beau. Sa nonchalance est attirante. Et ce regard azur... il m'hypnotise plus que de raison.

Ma réplique le fait tiquer, il met quelques secondes avant de répondre.

- Je dois me rendre dans un lieu qui ne plait pas, pour retrouver mon abruti de petit frère. J'ai du boulot par-dessus la tête et je déteste les fêtes où tout le monde se sent obliger de boire plus que de raison pour s'amuser. J'ai une aversion pour les films cucul la praline qui font croire que l'amour se trouve au coin de la rue, alors que c'est tout le contraire.

Il s'arrête à bout de souffle et passe une main dans ses cheveux. Un long soupir s'échappe de sa bouche pulpeuse, que je ne peux m'empêcher de fixer. Un silence s'installe entre nous, nous n'entendons plus que le ronron des moteurs des avions. Il me fixe avec plus d'insistance, comme pour chercher à déchiffrer un secret enfoui en moi. Je me sens prise au piège, mais je ne peux pas me défiler.

- Et vous, qu'est-ce qui vous fait croire que vous êtes supérieure à moi ?

Il me lance cette question avec un sourire provocateur, mon cœur s'emballe. Une montée d'adrénaline me donne des bouffées de chaleur.

Inspire. Expire. Inspire. Expire.

- Je ne cherche pas à rabaisser les gens, contrairement à vous. Mais le karma s'occupe bien de vous à ce que je vois. Vous connaissez l'expression : « on ne récolte que ce que l'on sème. »

Ma réplique flotte dans l'air. Son sourire s'efface légèrement, ses yeux s'assombrissent et laissent entrevoir une lueur d'interrogation. L'atmosphère s'alourdit et chaque seconde qui s'écoule jusqu'à sa réponse me glace.

- Pourtant c'est exactement ce que vous êtes en train de faire. Vous ne valez pas mieux que moi au final.

Ses mots me touchent plus que de raison. Je ne suis pas une mauvaise personne, j'ai toujours fait attention à ne blesser personne. Pourtant, à l'inverse, on ne se gêne pas pour me piétiner à la moindre occasion. Lui, ne fait pas exception.

Je laisse tomber mes bras et brise le contact en me tournant vers le hublot. Le paysage qui s'offre à moi est flou, tout comme mes pensées. J'ai été nulle de croire que j'aurais l'ascendant sur lui. Nélia tente de m'appeler, mais je ne veux plus avoir à regarder Ethan jusqu'à la fin du vol. L'adrénaline est redescendue, elle a laissé place à un froid glacial qui me pique la peau. Je scrute les nuages et essaye d'apaiser le mal qui me ronge. Je n'aurais pas dû me laisser entraîner dans ce face-à-face.

Un silence pesant s'installe entre nous. Ethan semble surpris par ma réaction, puisqu'il ajoute :

- Mes mots ont dépassé ma pensée.

Je serre les dents en entendant ses mots. C'est une excuse que j'ai entendue beaucoup trop de fois de la bouche de Lilio. Tout ce que nous disons, nous le pensons forcément. Pourquoi se cacher derrière de fausses excuses ?

Les larmes me cachent la vue, mais je ne veux pas lui donner le plaisir de m'avouer vaincue. Je ferme les yeux et me force à penser à des moments beaucoup plus heureux.

Inspire. Expire. Inspire. Expire.

Je réussis à me calmer. Le vrombissement de l'avion me berce à nouveau. Le sommeil m'enveloppe, j'espère ne me réveiller qu'à l'atterrissage.

Soleil couchant, coquillages nacrés et amour fou.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant