Kadiatou emménagea chez Ramatta après avoir pris la difficile décision de quitter l’appartement de sa tante. Dès son arrivée, elle fut accueillie chaleureusement par Fanta, la fille de Ramatta, qui la prit dans ses bras comme si elles s’étaient toujours connues. Ramatta avait tellement parlé de Kadiatou ces derniers temps que Fanta avait l’impression de l’avoir déjà rencontrée. Cet accueil bienveillant était un baume au cœur de Kadiatou, qui trouvait enfin un semblant de réconfort après les semaines difficiles qu’elle avait vécues.
Ramatta, malgré ses journées épuisantes au salon de coiffure, s’efforçait de créer un environnement apaisant pour sa fille et Kadiatou. Ses journées étaient longues, débutant à l'aube et se terminant tard le soir, car dans son métier, il fallait coiffer tant qu’il y avait des clients. Même si un client arrivait à 22 heures, elle devait l’accueillir et le servir avec le même sourire et la même patience. Kadiatou, de son côté, espérait qu’en vivant ici, elle pourrait enfin se concentrer sur ses études et profiter de moments de complicité avec Fanta, une présence rassurante après une journée intense à la fac.
À peine avait-elle déballé ses affaires que son téléphone sonna. C’était ses parents. Leur voix était empreinte d’inquiétude lorsqu’ils lui demandèrent pourquoi elle n’était pas chez sa tante et pourquoi celle-ci s’inquiétait de ne plus la voir. Kadiatou sentit une boule se former dans sa gorge. Elle savait que ce moment viendrait, celui où elle devrait dire la vérité. Prenant une profonde inspiration, elle commença à expliquer tous les supplices qu’elle avait endurés, les humiliations silencieuses, et enfin, la décision de sa tante de la chasser après deux mois.
Son père, d’abord incrédule, eut du mal à accepter ce qu’il entendait. Pour lui, sa sœur était une personne de confiance, une femme avec qui il avait partagé tant de moments précieux, celle qui l’avait soutenu pendant des périodes difficiles. Comment pouvait-elle être capable d’une telle cruauté ?
- Pourquoi tu mens, Kadiatou ? Jamais ma sœur n’aurait osé faire cela, je la connais par cœur.
- Papa, tu me connais aussi. Quel intérêt aurais-je à te mentir dans une telle situation ?
- Je connais les jeunes filles de ton âge, une fois loin de leurs parents, elles veulent sortir, fréquenter des garçons… Je ne t’ai pas envoyée en France pour ça, rétorqua-t-il, sa voix tremblante de déception.
- Papa, m’as-tu déjà entendu dire un mensonge ? Depuis que je suis là-bas, j’ai tout fait pour lui obéir, pour respecter les règles de la maison, même si cela m’a coûté.Son père, déconcerté, répondit :
- C’est normal qu’elle te demande de l’aider, après tout, elle t’héberge gratuitement, elle te nourrit… C’est la moindre des choses que tu puisses faire.
- Papa, je comprends, mais ce qu’elle m’a fait subir allait bien au-delà de simples tâches ménagères, dit Kadiatou, sa voix brisée par l’émotion.À ce moment, sa mère, qui écoutait silencieusement la conversation, intervint avec douceur :
- Kadiatou, je te crois. J’avais déjà remarqué que quelque chose n’allait pas. Tu as maigri, tu n’avais plus cet enthousiasme habituel quand tu m’appelais. Je sentais que tu me cachais quelque chose.
- Oui, maman, c’était trop difficile. Tata m’a accueillie, mais dès le début, j’ai senti qu’elle ne voulait pas que je reste longtemps.
- Comment ça ? demanda son père, un peu plus adouci par les paroles de sa femme.
- Par son ton, papa… Quand elle me demandait de faire quelque chose, ce n’était jamais avec gentillesse. Tout était dit avec froideur, comme si elle me donnait des ordres.
- Mais c’est normal, Kadiatou, c’est peut-être sa façon de parler, tenta de justifier son père, bien qu’une pointe de doute commençait à s’installer en lui.Kadiatou inspira profondément avant de continuer :
- Papa, ce n’est pas seulement son ton. Un jour, je l’ai entendue parler à une amie au téléphone. Elle disait qu’elle ne pouvait plus me supporter et qu’elle regrettait que sa propre fille n’ait pas suivi le même parcours scolaire que moi. C’est comme si je lui rappelais chaque jour son échec avec sa fille… Ensuite, elle m’a dit en face qu’elle me donnait deux mois pour partir. J’ai été choquée, mais je n’avais nulle part où aller. J’ai gardé tout cela pour moi, mais c’était trop.Un silence lourd s’installa. Son père semblait abasourdi par les révélations de sa fille, tandis que sa mère serrait le téléphone comme si elle pouvait la consoler à distance.
- Et ce n’est pas tout… continua Kadiatou. Elle a même fermé son frigo à clé pour que je ne puisse pas me servir en son absence. J’ai filmé la scène, papa, je t’enverrai la vidéo. Je ne pouvais pas croire que ma propre tante en arriverait là.
Sa mère, bouleversée, demanda :
- Pourquoi tu ne nous as pas dit tout ça plus tôt ?
- Parce que je ne voulais pas vous inquiéter, et je voulais gérer ça toute seule… Mais c’était devenu impossible.- Maintenant, tu es où, ma fille ? Si tu n’es pas chez ta tante, où dors-tu ? demanda son père, le ton plus doux.
- Je suis chez une collègue du salon de coiffure qui m’a proposé de louer une chambre à un prix abordable. C’est beaucoup mieux ici. J’espère pouvoir me concentrer sur mes études maintenant.- Dieu merci, soupira sa mère. J’espère que cette nouvelle situation te permettra de retrouver un peu de paix.
Son père, quant à lui, resta silencieux, l’esprit tourmenté. Les paroles de sa fille résonnaient dans sa tête, déchirant l’image qu’il avait de sa sœur. Lorsqu’il raccrocha, les larmes lui montaient aux yeux. Il se sentait coupable de ne pas avoir cru Kadiatou dès le départ.
Quelques minutes après l’appel, il composa le numéro de sa sœur. Le cœur lourd, il attendit qu’elle décroche, prêt à lui demander des explications. Mais lorsqu’elle le fit, elle nia tout en bloc. Non seulement elle réfuta les accusations de Kadiatou, mais elle accusa également la jeune fille d’être devenue ingrate et irrespectueuse depuis qu’elle avait posé les pieds en France. Elle évoqua des rumeurs de voisinage, insinuant que Kadiatou fréquentait de mauvaises personnes et rentrait tard le soir.
Cette conversation acheva de briser l’image que le père avait de sa sœur. Il raccrocha brutalement, refusant d’entendre davantage de mensonges. L’amertume s’empara de lui, réalisant que la sœur qu’il avait autrefois tant aimée s’était transformée en une étrangère. Pour la première fois, il voyait clairement les cicatrices que Paris avait laissées sur sa famille, et il ne savait plus à qui faire confiance.
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De L'Afrique à Paris
Kısa HikayeL'histoire plonge au cœur des vies de plusieurs personnes venues d'Afrique, toutes animées par l'espoir d'une vie meilleure en Europe. Chacun d'eux a quitté son pays avec des rêves plein la tête : obtenir une éducation de qualité, trouver un emploi...