J'entre enfin en piste. Ma bulle est différente cette fois. Si je suis aussi serein, que je parviens à tenir éloigner mes problèmes personnels, je n'y suis pas seul.
Tian, Malcolm et Mathieu en partagent une partie. Et c'est quelque chose de particulier. A la fois grisant et dérangeant. Comme si l'on était à disposition de ces personnes à qui on choisit d'ouvrir la porte. Mais, ça nous permet de gagner.
Nous sommes au meilleur de notre forme. Aucun de nous ne se laisse mener par le bout du nez pour le moment. Nous avons pratiquement terminé les matchs de huitième qui nous permettront d'accéder à la demi-finale. Pour nous, c'est quasiment plié. Nous avons pratiquement dix touches d'avance contre l'égypte. Je retrouve une seconde fois mon adversaire de la demi-finale individuelle. Et j'avoue sans aucun remord qu'il est bon. Malheureusement, il porte seul son équipe.
Ils ont pourtant dominé sur les deux premiers tireurs. Mathieu a perdu son set de deux touches. Puis, Tian a rattrapé le coup en marquant un 5 – 1, nous ramenant en tête. J'ai ensuite perdu mon tour d'un point. J'aime l'escrime en équipe parce qu'elle permet de ne pas trop se tendre. Le match est long, près d'une heure, mais on alterne. A la première équipe qui atteint les cinq points, on change de tireur. Et ainsi de suite jusqu'à ce qu'un pays arrive à 45 touches.
Mathieu marque la dernière et exulte. Nous serons en demi-finale.
La joie est de courte durée pour chacun d'entre nous car la prochaine étape se déroule dans une heure seulement. Alors nous remontons nous mettre au calme, et nous avons tous notre méthode pour ça. Un casque sur les oreilles, on continue d'entretenir sa bulle. Et pendant ces moments-là, je ne pense plus à rien. Ni à ma mère et Maya qui sont dans les gradins. Mon amie n'avait pas pu se libérer de son travail d'infirmière samedi, mais elle était en repos aujourd'hui. Arrivée ce matin, je n'ai même pas eu le temps de la voir avant de commencer. Je ne pense pas non plus à Quin, à ses qualifications qui doivent se dérouler en ce moment. Ou à Lars qui s'entraîne.
Je ne pense qu'au prochain combat.
Nous savons déjà que nous allons affronter les coréens, alors je jette un œil à Matheu. Sanguk Oh* est évidemment dans l'équipe de sabre, et c'est franchement un des meilleurs escrimeurs du monde. J'ai eu de la chance en réussissant à le déstabiliser pendant notre finale, mais ça ne sera pas le même jeu ici. Alors j'espère que Mathieu saura tenir le coup.
J'ai l'impression d'être à peine assis à me concentrer qu'il faut repartir. Je bois une grande lampée d'eau, je fais craquer ma nuque et j'embarque mes affaires. Je descends à la suite des autres. Les cris qui nous accueillent lorsque nous arrivons me rebondissent dessus. Après, je saurai dire que j'étais heureux de l'engouement des français. Avant, j'ai besoin qu'ils se taisent dans mon esprit pour rester concentré. Alors je les fais taire.
Le combat est serré, plus serré que le précédent. Chaque touche est rendue illico, qu'il s'agisse de notre équipe ou de la leur. On ne veut pas perdre, surtout pas ici. Parce que, ce qui nous attend si on perd, c'est une éventuelle médaille de bronze. Et on est là pour l'or.
— Tu crois qu'il va tenir ? Me questionne Malcolm en fixant le dos de notre coéquipier, qui se tient face à Oh.
— J'espère, on n'a plus beaucoup de chance de se rattraper après ça.
Contrairement aux égyptiens, les coréens sont tous bons. Si Sanguk Oh* est excellent, les autres sont un obstacle tout aussi grand. Mais Mathieu tient le coup, chaque touche donnée est rendue, si bien qu'on finit son set à deux touches des coréens. Il me reste un set et c'est Tian qui clos le match. Malcolm fait partie intégrante de l'équipe mais, il a le poste de remplaçant. En cas d'incapacité de l'un de nous à jouer.
Je m'élance sur la piste et j'affronte Bongil GU*, qui est lui aussi particulièrement bon. Heureusement, sur une inattention de sa part, je reprends la tête. Tout peut encore arriver, mais je passe le relai à Tian. Je suis confiant mais je reste dans cette bulle, toujours. Gagner contre les coréens deux fois de suite pour la délégation française en escrime serait incroyable.
Et c'est ce qui arrive. Tian parvient à conserver notre avantage et la joie explose dans le Petit Palais lorsqu'il marque la touche gagnante. On se saute dans les bras, laissant un bref instant la bulle de côté. Parce qu'il faut célébrer. Au sabre en équipe, nous serons d'or ou d'argent. Et c'est terriblement beau.
Pour la finale, nous avons trois heures à attendre cette fois. Le temps de manger un morceau, léger pour ne pas être gêné pendant l'épreuve. Le temps d'un massage, d'un coup de fil. J'ai choisi de prendre deux heures pour sortir de ma bulle. Parce qu'on ne va pas se mentir, conserver un tel état de concentration c'est épuisant. Si je peux garder un peu d'énergie pour la suite, ça ne sera pas du luxe. Je demande à Jo de laisser Maya et ma mère me rejoindre.
Lorsque ma meilleure amie passe les portes de notre espace dédié, elle me saute dans les bras. Je lui rends son étreinte, enfouissant mon visage dans son cou. Notre relation à toujours été plutôt fusionnelle, pendant longtemps ma mère s'est demandée si nous n'allions pas finir ensemble. Vu mon orientation sexuelle, ça n'aurait pas été envisageable. Maya elle-même ne me voit pas du tout comme ça, pour ce que j'en sais. Nous avons abordé le sujet lorsque nous étions plus jeune et on est tombés d'accord pour vivre ensemble à quarante ans si nous étions toujours célibataires. Mais, avec chacun nos chambres, évidemment.
— Je suis content que tu sois là, avoué-je doucement.
— Moi aussi ! Je suis tellement fière de toi, si tu savais ! me souffle-t-elle en tirant sur mes joues.
— Vous avez été géniaux, tous les trois, appuie ma mère en s'adressant à mes coéquipiers.
— Tu restes un peu, après ? Questionné-je Maya en les invitant, elle et ma mère, à s'asseoir.
— J'ai un week-end de trois jours. Du coup je ne rentre que vendredi midi.
— Génial ! M'exclamé-je. Et toi maman, tu repars quand ?
— Demain après-midi, on peut déjeuner tous les trois demain midi si vous êtes dispo.
— Je pense... 'fin j'en sais rien, ça va dépendre du résultat. Je vais faire en sorte que oui ! Mais ça sera peut-être tôt, on peut envisager un brunch sinon ?
— C'est parfait un brunch !
Autant j'ai réussi à repousser les interviews presse du journal de treize heures ou vingt heures depuis samedi, pour me concentrer à l'entraînement, autant là je n'aurais plus d'excuse.
— Je m'occupe de réserve, Bérénice, annonce Maya. On ira ensemble.
— Vous êtes dans le même hôtel ?
— Oui, c'est celui que Jo à pu nous dégoter.
Je hoche la tête doucement, un léger sourire aux lèvres. C'est drôle ce que l'avoir près de moi peut avoir d'apaisant. C'était la même chose avec ma mère à ma première finale, au fond, mais c'est comme si toute ma famille était réunie. Et c'est juste incroyable.
Nous passons les minutes suivantes à discuter. De tout et rien mis aussi des jeux, des résultats, du tableau des médailles. La France est très bien placée et c'est quand même fou de voir ça. De mémoire, j'ai toujours trouvé les français décevant aux JO précédents. Il faut croire que jouer à domicile ça galvanise.
Cet interlude nous a fait du bien à tous. On a tous pu voir nos proches et la quiétude que ça nous apporte est importante. On prend une bonne heure pour revenir sur notre concentration, et je me fais une réflexion qui me serre le cœur à cet instant précis.
C'est notre dernier match des jeux olympiques parisiens. Après ça, les dés seront jetés. On ne pourra plus revenir en arrière. Alors, en plus de me focaliser sur cette bulle, j'essaie d'entrer dans un état de pleine conscience. J'ai envie de vivre chaque mouvement, chaque effort. Je veux pouvoir décrire ce combat avec une précision chirurgicale lorsqu'on va me le demander.
C'est dans cet état d'esprit qu'on rejoint les pistes du petit palais. En finale, on affronte la Hongrie. Et je me dis qu'avec notre niveau et notre envie de vaincre, on peut les battre. On peut l'avoir, cette fichue médaille d'or.
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International Love | A Paris 2024 Olympic Games' romance (FR)
RomanceLothaire Langlet est un jeune adulte français de 21 ans qui participe pour la première fois de sa carrière sportive aux Jeux Olympiques. Sa chance, c'est qu'en 2024 ces JO sont organisés à Paris, capitale de son pays natal. Lui brille en escrime mai...