Quelle merde, tout ce protocole. J'avais oublié que les journalistes sont des requins qui n'hésitent pas à secouer sous mon nez les blessures qui sont à peine refermées. Je n'ai qu'une envie en rentrant au village olympique : prendre une douche et dormir.
L'adrénaline est retombée, si bien qu'une fatigue colossale s'abat sur mes membres. Pourtant, quand j'entre dans le hall, la liesse reprend de plus belle et me frappe en pleine face.
J'ai tellement été dans une bulle toute la journée, que je n'ai pas suivi les potentiels gains de médailles depuis le début de la journée. Mais je ne suis pas le seul à avoir ramené une breloque à la maison. Les joueurs d'Antoine Dupont* au rugby à sept ont emporté l'or eux aussi ; nous avons une autre médaille en escrime, à l'épée en argent ramenée par Auriane Mallo-Breton* que je n'ai croisé qu'à de rare occasions ; puis le judo nous a ramener une médaille d'argent et de bronze, respectivement par deux sportifs que je ne connais pas du tout : Luka Mkheidze et Shirine Boukli*.
Pour sa première journée officielle, la France remporte cinq médailles. Deux d'or, deux d'argent et une de bronze, et c'est génial. Tout le monde est extatique et la fête bat son plein. Je n'ai pas vraiment le temps d'aller m'isoler parce qu'on m'alpague toutes les dix minutes. Des athlètes dont je ne connais rien du tout viennent me féliciter, et même des énormes stars comme Teddy Riner prennent le temps d'échanger une poignée de main. Je suis abasourdie.
On me met un verre de coca dans les mains, dont je vérifie la provenance avant toute chose. Je me méfie toujours de ces grandes fêtes où les boissons tournent. Mathieu est heureux, mais je sens un voile devant ses yeux. Comme s'il se forçait. Alors je l'entraîne s'asseoir dans un coin plus calme.
— Ça va mon pote ?
— Hein ? Bah oui, évidemment que ça va. Pourquoi ça n'irai pas ?
Le regard que je lui lance est sans équivoque, et peu à peu il perd le sourire de façade qu'il nous sert depuis des heures.
— Tu sais, tu vas pas entacher mon bonheur parce que tu vas me confier ton malheur, hein.
— Je sais, mais ça me semble un peu égoïste.
— Ca ne l'est pas.
— J'aurais aimé qu'elle soit à moi, ta médaille. Et même si je suis foutument heureux pour toi, mec, je suis totalement frustré.
Je m'en doutais un peu. Je passe un bras autour de ses épaules et ma tête contre la sienne. Mathieu est plus vieux que moi, de quatre ans. Il va fêter ses vingt-cinq ans en septembre, et ça aurait été un sacre pour lui aussi, cette médaille.
— Je crois que je ne suis pas assez bon, c'est tout, souffle-t-il soudain.
— Pardon ? T'es con ou quoi ?
— Arrête, Lo. Je t'adore mais franchement, j'ai plus d'expérience que toi et j'ai pas dépassé les huitièmes de finale.
— T'es tombé sur Sanguk en huitième mec, t'as rien à te reprocher. Et t'as fait un match excellent.
— J'ai perdu, le résultat est le même.
— T'as perdu contre le champion du monde...
— Tu peux pas comprendre, cingle-t-il en se détâchant de moi. Toi, t'as pas perdu contre lui.
Mon cœur se serre. Je sais qu'au fond, on est tous heureux les uns pour les autres quand on gagne une compétition. Mais ici, le contexte est différent. Ce sera la seule fois dans nos vies qu'on pourra ramener cette médaille, celle des Jeux Olympiques de Paris. Mathieu se lève et s'éloigne dans la foule, me laissant seul avec un poid sur la poitrine.
VOUS LISEZ
International Love | A Paris 2024 Olympic Games' romance (FR)
RomanceLothaire Langlet est un jeune adulte français de 21 ans qui participe pour la première fois de sa carrière sportive aux Jeux Olympiques. Sa chance, c'est qu'en 2024 ces JO sont organisés à Paris, capitale de son pays natal. Lui brille en escrime mai...