La bulle, c'est un concept à part entière. Je ne l'avais pas vraiment comprise avant mes premiers championnats. De l'extérieur, on semble concentré. Mais quand on entre dans cette bulle, plus rien n'existe. Rien d'autre que l'objectif.
J'attaque, je pare, j'esquive, et finalement, les quinze touches sont à moi en une dizaine de minutes. Je salue mon opposant, le félicite. Il n'a pas gagné mais eh, le match était serré. Je gagne de deux points d'avance seulement.
Et ce schéma se répète toute la journée. Des trente-deuxièmes de finale, je passe aux seizième. Je connais aussi ce combattant, après tout j'ai remporté le bronze aux championnats du monde récemment. J'ai déjà été face à tous ces hommes. Et je suis ravi de voir que je n'ai pas perdu la main. Je gagne et passe en huitième.
On pourrait croire que la tension monte petit à petit, que plus j'avance dans les tableaux, plus je ressens le stress. Mais c'est l'inverse, étrangement. Je suis heureux de gagner. Parce qu'à chaque fois, je vois la fierté dans les yeux de Jo. Pas que, d'ailleurs.
Jo est mon premier entraîneur et j'ai tenu à continuer à travailler avec lui, mais pour dépasser mon niveau et pouvoir jouer à l'international, j'ai commencé à pratiquer aux côtés d'Eliott Forté. Son nom ne vous dit peut-être rien si vous n'y connaissez rien à l'escrime, et au fond c'est normal. Il évolue dans l'ombre des plus grands depuis vingt ans. Son nom est connu dans la discipline, cependant.
Je le vois sauter de son siège quand je marque la dernière touche qui m'octroie une place en demi-finale. Je vois Jo écarquiller les yeux. Je savais que j'en étais capable, j'ai un bon classement mondial. Mais je sens qu'ils commencent à y croire vraiment. Et ça me fait quelque chose, ça me galvanise.
Mon prochain échange est dans trois heures, je me rends donc à la salle de préparation physique. Je grignote quelques barres de céréales, profite d'une escale technique, me fait masser par les préparateurs sportifs dédiés aux athlètes. J'entends Eliott et Jo me préparer une dernière fois. Me donner les bonnes armes contre mes adversaires. Le premier déjà, l'égyptien Ziad El-Sissy* que j'ai battu d'un point aux championnats du monde. Ils sont inquiets qu'il veuille prendre sa revanche, mais je suis serein.
J'ai étudié son jeu sur vidéo des milliers de fois, je me suis préparé à rencontrer chacun des noms qui sont présents en huitième de finale. Que je gagne ou que je perde, je veux simplement donner tout ce que j'ai. Et peut-être que ça m'amènera une médaille.
Il est dix-neuf heures cinquante quand l'arbitre lance les hostilités. Nous enchaînons, touche après touche, parade après parade, fente après fente. Je sens la sueur rouler le long de mon dos. On a de la chance, Paris est encore sous la pluie. Ça ne devrait étonner personne mais, ça me soulage. Dans le Grand Palais, avec quarante degrés, j'aurais probablement été moins efficace.
Ce que je n'aime pas à l'escrime, c'est que je ne peux pas voir le regard de mon adversaire. Nos masques sont si bien construits qu'il est impossible de déceler l'intention derrière ce fin grillage. Mais je sais qu'il est déterminé, je le sens à sa posture. Ses épaules tendues, son bras qui ne tremble pas, sa respiration saccadée.
Une action. C'est tout ce qu'il reste pour savoir lequel de nous deux disputera la finale.
Une action.
Alors j'analyse. La position de ses jambes, de ses pieds, de son bras. La manière dont son buste est tourné vers l'extérieur ou vers l'intérieur. Chaque détail compte. Et c'est exactement comme ça que je trouve la faille, celle qui me fait remporter ce match sur un coup d'estoc.
La foule se met à hurler. Les français sont présents et leur soutien commence à me porter. Je sais que je suis ici grâce à eux, en partie. Et malgré cette bulle dans laquelle je me suis enfermé, j'ai conscience que je n'ai pas le droit de les abandonner maintenant que l'or est à portée de main.
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International Love | A Paris 2024 Olympic Games' romance (FR)
RomanceLothaire Langlet est un jeune adulte français de 21 ans qui participe pour la première fois de sa carrière sportive aux Jeux Olympiques. Sa chance, c'est qu'en 2024 ces JO sont organisés à Paris, capitale de son pays natal. Lui brille en escrime mai...