Un Fil (Bleu, Blanc) Rouge

5. Une visite pas si sympathique

Jordan Bardella aimait se renseigner sur ses adversaires.

Il avait bien appris sa leçon. Son ignorance et son désintérêt à l'égard de ses rivaux politiques avait fini par lui causer du tort, pendant ce fameux vol Paris-Marseille. Il ne pouvait pas toujours compter sur son équipe pour dénicher tous les détails sordides impliquant ses adversaires. Ainsi, il avait pris l'habitude, pendant son temps libre, de consulter les dernières actualités des camps rivaux et les réseaux sociaux de leurs plus grands représentants. Il s'était même abonné à certains de leurs comptes.

C'était un exercice qui s'était révélé divertissant, bien plus divertissant que de faire acte de présence au Parlement européen et de perdre une journée à prétendre d'en avoir quelque chose à cirer des valeurs de l'UE et des soi-disant libertés dont bénéficiaient ses pays membres, par exemple.

Ce n'était donc que par pure curiosité professionnelle qu'il était actuellement en train de faire défiler sur son écran les highlights du profil Instagram de Gabriel Attal. Il aimait tout particulièrement parcourir ses anciennes FAQ. Outre le fait qu'il pouvait retrouver de brefs résumés de ses actions au gouvernement, ce qui était utile pour préparer ses prochains discours, il découvrait parfois des photos du beau jeune homme qu'il n'avait jamais eu l'occasion de voir auparavant.

Avachi sur son canapé, Jordan consultait désormais une FAQ datant d'août 2021. Il bailla, un peu frustré. Cela faisait plusieurs minutes qu'il faisait défiler des posts dépourvus d'une quelconque photo. Mais après plusieurs réponses un peu barbantes sur la campagne de vaccination contre le COVID, sa patience fut enfin récompensée.

Un selfie de Gabriel, torse nu, visiblement à la plage.

Jordan se figea. L'homme sur son écran ressemblait au jeune Gabriel qu'il avait rencontré en 2015, avec son teint hâlé et un début de barbe qui dessinait si bien le trait de sa mâchoire... Mais avec 6 ans d'écart. Les traits arrondis de son minois, qui lui donnaient autrefois un air si mignon, s'étaient affirmés. Il avait mûri, et il était délicieusement beau.

Le regard de Jordan glissa sur ses épaules, ses clavicules, et son torse imberbe. Il brûlait d'envie de toucher cette peau qui paraissait si douce même sur l'écran de son téléphone.

Elle l'est, se rappela-t-il. S'il venait un jour à retrouver Gabriel pendant de futures vacances à la plage...

Mais non, rien ne se passerait, car son ex-amant n'était pas revenu sur sa décision. Jordan mordit sa lèvre inférieure. C'était de la torture. Il ne l'avait pas revu depuis sa nomination à la tête du gouvernement - sauf bien sûr dans ses BeReal, mais ça, ça ne comptait pas vraiment. Leurs échanges de messages ne suffisaient plus non plus. Ils n'avaient cependant aucune rencontre prévue ensemble, et les élections européennes n'arrivaient que dans 5 mois. De plus, Jordan se doutait bien que le nouveau Premier Ministre avait déjà un agenda bien chargé.

L'impossibilité de le revoir ne faisait qu'aggraver son manque. Ces dernières nuits, Gabriel Attal s'était même invité dans ses rêves, lui causant plusieurs réveils... Triomphants.

En l'occurrence, c'était plutôt une soirée triomphante que Jordan vivait, actuellement. Dans une tentative pour se calmer, il prit une longue et profonde inspiration. Il ne comprenait pas ce que Gabriel éveillait en lui. Ce qu'il ressentait pour lui était tout à fait nouveau, il n'en avait jamais eu l'expérience, même pas avec une fille. Il l'avait désiré dès le premier regard, avant que la politique ne s'immisce dans leur relation, et il l'avait désiré même après. Le goût de l'interdit ne faisait qu'attiser ce sentiment. Car même si leurs discours s'opposaient sur les plateaux de télévision, Jordan ne pouvait que reconnaître l'éloquence et la vivacité d'esprit de son adversaire - des qualités qui l'attiraient tout autant que la tendresse qu'il avait connue dans ses bras.